Cette barbarie légale

Documentaire : à travers le portrait
d’un condamné exécuté, aux États-Unis,
David André propose
une réflexion sur la peine de mort.

Jean-Claude Renard  • 17 mars 2011 abonné·es

McAlester, en Oklahoma : un pénitencier où sont détenus les condamnés à mort. Longs couloirs, grilles, parloirs. Des espaces froids. Bruits de trousseaux. Des cellules en sous-sol, privées de lumière naturelle. Des lits en béton. Le toutim de l’incarcération, sans fioritures, filmé froidement. Sean Sellers y a passé les treize dernières années de sa vie. Au bout de ce tunnel, en 1999, face à la caméra de David André, il a déjà 29 ans. « Si tout ce qu’on voit [de moi], c’est quelqu’un qui a fait du mal, qui a tué et qui est dangereux, alors on pense que cette personne mérite de mourir. Les seuls qui ont le droit de vouloir ma mort, ce sont ceux à qui j’ai fait du mal. Ceux qui souffrent encore de ce que j’ai fait quand j’avais 16 ans. Mais si je ne vous ai rien fait, pourquoi voulez-vous que je meure ? »

Et Sellers de raconter son enfance perturbée, entre une mère souvent absente, chauffeur routier, son beau-père, et une attirance pour les cultes sataniques. « Plus je me suis plongé là-dedans, plus mes pensées sont devenues incohérentes. Jusqu’au point où je me suis dit que ce serait pas mal de tuer quelqu’un. » En 1986, à 16 ans, il abat sa mère et son beau-père à la carabine. Des images d’actualités rapportent le crime. Lors de son arrestation, Sean Sellers avoue un autre meurtre, celui d’un gérant de supérette. Les experts font état de troubles de la personnalité ; le procureur demande la peine capitale. ­Sellers est condamné à mort. Il est le plus jeune condamné des cinquante dernières années aux États-Unis.

Quand le réalisateur le rencontre, en 1999, c’est un adulte, qui a trouvé la foi, publié plusieurs livres, entamé diverses correspondances. Ses avocats sont arrivés au bout de tous les recours. Reste la grâce du gouverneur, qui n’a jamais été accordée en Oklahoma. Dans une petite chapelle, David André assiste à l’audition, partagée entre Sellers, ses amis, la famille des victimes qui réclame vengeance, face aux juges. Grâce refusée. ­Sellers est exécuté le 4 février 1999. En six minutes, par injection létale. En voix off, un commentaire pédagogique livre en détail le déroulement d’une exécution. On ne verra qu’un fourgon emporter le corps. Quelques heures auparavant, Sellers a laissé au réalisateur un enregistrement sonore, des extraits de son journal. Une lecture qui précède le deuxième volet de cet exceptionnel documentaire : un retour sur les lieux, dix après la mort de Sean Sellers, à la rencontre de tous les protagonistes.

Le fils du beau-père, sans regret, une demi-sœur qui ne voudrait pas passer pour quelqu’un de « cruel » , une tante, qui déplore encore « un gâchis et un non-sens » , et plusieurs surveillants de prison, ceux-là mêmes qui, en Oklahoma, accomplissent l’exécution, deviennent les bourreaux. « Je suis toujours hanté par tout un tas de cauchemars horribles que je ne peux même pas vous décrire » , dit l’un d’eux. « Quand on les attache , ajoute un autre maton, les condamnés te regardent avec l’air de dire : “Pourquoi tu as voulu me le faire à moi ? Pourquoi ce n’est pas quelqu’un ­d’autre que toi ce soir ?” »

Pour le procureur, terré dans son ranch, recordman américain de la peine capitale, sans jamais avoir assisté à une seule exécution, foin de regret. C’est la loi, « la seule méthode pour empêcher les meurtres » . Des arguments soutenus par l’opinion. Pour l’avocat de Sellers, « les gens soutiennent le système alors qu’il est mauvais. Ils ne savent pas pourquoi il est mauvais. Ils n’ont jamais été témoins directs ou fait l’expérience de l’horreur de notre système. Ils ne savent pas, tant qu’un membre de leur famille n’est pas passé par là » . Dix ans après la mort de Sean Sellers, la criminalité n’a pas reculé en Oklahoma.

Reste une peine qui hante les familles, dégoûte les fonctionnaires chargés de l’appliquer. « Une peine infinie. » À travers une histoire étirée sur près de vingt-cinq ans, au cœur de la logique de la loi du talion, en évoquant les ténèbres du couloir de la mort, filmant l’audition du recours en grâce, racontant l’exécution, rapportant les voix des protagonistes, David André propose une confrontation directe avec la sentence capitale. Post mortem. Sans avoir besoin de ton accusateur, mais en soulevant la question de l’impact réel de la suppression par l’État d’un être humain.

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