Chirac ouvre la brèche

Une nouvelle procédure menace le jugement des affaires politico-financières.

Thierry Brun  • 17 mars 2011 abonné·es

Le procès de Jacques Chirac est désormais suivi avec la plus grande attention, pas seulement parce qu’un avocat l’a fait capoter d’un effet de manche procédural, mais du fait de la procédure elle-même. Jean-Yves Le Borgne, ténor du barreau parisien, a déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dans deux procès connexes : celui de l’ancien Président à Paris, donc, et celui du « 1 % logement » des organismes HLM au tribunal de Nanterre.

La QPC, qui permet depuis mars 2010 à tout justiciable bien conseillé de contester la loi qui va le juger, porte sur un point clé du jugement des affaires, celui de la prescription des faits. Dans le cas du procès Chirac, la première plainte a été déposée en décembre 1998 pour des faits remontant à 1992, parce qu’une jurisprudence considère que les délits financiers, abus de confiance ou abus de biens sociaux étant par nature dissimulés, le délai de prescription de trois ans doit courir à partir de la date de découverte des faits, soit, en l’occurence, 1998.

Jean-Yves Le Borgne met en cause cette jurisprudence, qui porte atteinte « aux principes de légalité et de prévisibilité de la loi, garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme » . S’il obtient gain de cause, la QPC entraînera l’annulation du procès Chirac, mais aussi d’un grand nombre d’autres procès. La question « ne concerne que deux infractions : l’abus de confiance et l’abus de bien social, mais l’argumentation développée est absolument générale et, si elle devait être retenue, les conséquences ne se limiteraient pas à ces infractions » , s’inquiète l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), qui ajoute : « Si la jurisprudence de la Cour de cassation » sur la prescription « devait être remise en cause, alors cela compromettrait l’instruction de l’affaire de l’amiante. »

François Bayrou, président du MoDem, a promptement publié une tribune dans le Monde (du 11 mars) pour dénoncer cette « bombe civique en préparation » et prévenir du risque que « la totalité ou presque des poursuites de délits financiers dans notre pays tombe, disparaisse dans les oubliettes, de manière irréversible » . Non sans quelque arrière-pensée… La QPC de Jean-Yves Le Borgne résoudrait d’un coup ce que les tentatives de dépénalisation du droit des affaires, souhaitée par Nicolas Sarkozy, n’ont pu obtenir.

Le tribunal correctionnel de Paris a jugé sérieuse la QPC de Jean-Yves Le Borgne et l’a transmise à la Cour de cassation, qui a trois mois pour la soumettre ou non au Conseil constitutionnel. On devrait savoir le 20 juin si le contentieux est renvoyé ou non. Et, comme le dit François Bayrou, si l’on passe l’éponge sur les affaires de ces dernières décennies…

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