Il Manifesto fête ses 40 ans !

Malgré des problèmes financiers, l’excellent quotidien de la gauche critique italienne entame sa cinquième décennie d’existence.

Olivier Doubre  • 28 avril 2011 abonné·es
Il Manifesto fête ses 40 ans !
© Photo : Getty Images / AFP

Le 28 avril 1971. Un groupe de journalistes dévalent joyeusement les escaliers du 46 de la via Tomacelli, dans le centre de Rome. Un paquet d’exemplaires du premier numéro de leur nouveau journal sous le bras, ils se mettent à les distribuer aux passants de la célèbre via del Corso. Il Manifesto , sous-titré « quotidien communiste », est né. Un sous-titre, en dépit de nombreuses discussions, que les rédacteurs du journal ont conservé jusqu’à aujourd’hui.

Le titre, lui, référence explicite au Manifeste du Parti communiste , de Marx et Engels, a été choisi deux ans plus tôt, en juin 1969, pour être d’abord celui d’une revue mensuelle fondée par un groupe d’intellectuels (Rossana Rossanda, Luigi Pintor, Luciana Castellina, Valentino Parlato, Lucio Magri…) membres du Parti communiste italien – sans l’aval de la direction du Parti. L’orientation de la revue n’est pas exactement dans la ligne. Ses rédacteurs-militants privilégient les enquêtes dans les usines, alors en pleine ébullition, mais espèrent du nouveau Secrétaire général, Enrico Berlinguer, réputé ouvert, qu’il les laisse mener cette aventure éditoriale. Pourtant, le leader de l’aile gauche du parti, Pietro Ingrao, les a prévenus : « Ils vous chasseront ! » Aussi, pendant « l’automne chaud » de 1969, alors que l’Italie connaît les plus grandes grèves ouvrières de son histoire, le comité central du PCI est occupé à « radier » les membres du comité de rédaction de la revue Il Manifesto . Des groupes de ­militants du parti décident alors, un peu partout dans la péninsule, de les soutenir. Ils sont exclus à leur tour ou bien quittent d’eux-mêmes le parti. Il Manifesto sera ainsi, pendant une bonne partie des années 1970, à la fois une revue – puis très vite, grâce aux collectes des groupes locaux, un quotidien –, et un petit parti politique assez hors norme, à la gauche du PCI, qui participe aux élections. Sans grands résultats de ce côté-là.

Mais lorsque le « quotidien communiste » paraît dans les kiosques, le succès est immédiat. Le premier numéro (vendu à 100 000 exemplaires) compte un reportage sur les campagnes chinoises au lendemain de la révolution culturelle et un éditorial sur l’importance d’un quotidien « au cœur du mouvement de masse » … À l’époque, pas de photos, et beaucoup, beaucoup de texte. Il Manifesto va ainsi accompagner tous les soubressauts de l’extrême gauche italienne dans ces années mouvementées. Avec des hauts et des bas. Quand, en 1977, les rues s’embrasent à Rome ou à Bologne, la ligne plutôt pacifiste et intellectuelle déplaît aux jeunes « prolétaires urbains » qui se battent avec la police et à une partie du mouvement, prête à passer à la « lutte armée ». Et, lorsqu’on retrouve le corps d’Aldo Moro, tué par les Brigades rouges, Rossana Rossanda invente, dans un éditorial resté célèbre, le slogan : « Ni avec l’État, ni avec les Brigades rouges » – qui déplaît aussi à certains.

C’est que, pour l’actuel directeur-adjoint du journal, Angelo Mastrandrea, de la génération suivante, « quand la gauche est sujette aux conflits internes, Il Manifesto va mal ; quand elle a le vent en poupe, Il Manifesto se porte bien ! » Les années 1980 seront difficiles, mais le système de financement public mis en place à la Libération lui permet de continuer à paraître. En revanche, les années 1990 seront celles de l’embellie, le quotidien attirant à nouveau une grande partie de la gauche, notamment du côté des membres de l’ex-PCI, déboussolés par la chute du mur de Berlin. Le journal fait alors de gros efforts sur le graphisme et la photographie, accompagne les nouveaux mouvements culturels (rap, cinéma, etc.), produit des disques et crée même sa maison d’édition. La rédaction se rajeunit.

Et Il Manifesto s’engage aux côtés du mouvement altermondialiste, a des envoyés spéciaux à Porto Alegre mais aussi à Bagdad ou à Gaza (où son collaborateur Vittorio Arrigoni a été tué par un groupe salafiste il y a quelques jours). Aujourd’hui, les temps sont plus durs : la gauche de la gauche a disparu du Parlement, et le gouvernement Berlusconi a supprimé les aides à la presse, mettant en danger toutes les rédactions indépendantes. Toutefois, avoir atteint les 40 ans donne à la rédaction du journal (et à ses lecteurs) un « sentiment de grande fierté » , selon Angelo Mastrandrea, « et même une certaine force pour résister à ce qui se passe aujourd’hui en Italie » . On leur souhaite de tenir bon.

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