La crise de l’eau dégage des liquidités

Le manque d’eau, tout comme le dérèglement climatique, pousse à la spéculation
sur les matières premières agricoles en raison de la volatilité des prix.

Thierry Brun  • 9 juin 2011 abonné·es

Le Chicago Board of Trade, la gigantesque Bourse de Chicago, s’intéresse particulièrement à l’évolution du climat en France et en Allemagne. On peut même y suivre les bulletins de la météo de n’importe quelle région du monde… avec, bien sûr, ceux de la météo financière. Et les perspectives sont plutôt bonnes pour les quelque vingt-cinq produits agricoles cotés comme le soja, le maïs, le blé, la viande de porc et même le bétail vivant. La plupart des transactions mondiales sur les matières premières passent par cette Bourse, qui est aussi un gigantesque marché des produits financiers dérivés, nommé le Chicago Mercantile Exchange (CME). Une foison de fonds de placement intitulés ETF (Exchange Traded Fund) ou trackers spéculent sur ce marché. Des produits dérivés à hauts risques comme les contrats et les options misent sur les céréales, le café, la viande, le soja, à la hausse ou à la baisse d’un indice ou d’une valeur. Et cela rapporte gros.

Les flux financiers du CME sont colossaux : plus de 80 milliards de dollars de liquidités par jour, ce qui en fait le plus grand marché financier du monde, et celui par lequel passe une grande partie de la spéculation mondiale sur les produits agricoles. La sécheresse qui sévit en France, quatrième exportateur mondial de produits agricoles, et la hausse de la demande mondiale y sont synonymes de gains financiers potentiels grâce à la volatilité des prix alimentaires. Renforcée par ces paramètres, la spéculation financière va donc bon train et accentue les effets de hausse, comme l’ont montré de récents rapports du Fonds monétaire international (FMI) et de la Commission européenne. Cette dernière a indiqué que le poids des investisseurs financiers sur ce marché a considérablement augmenté ces dernières années. Leurs investissements y atteignaient entre 170 et 205 milliards d’euros en 2008, contre seulement 13 milliards en 2003.
Parallèlement, « les prix mondiaux des produits alimentaires ont augmenté de 36 % par rapport à leur niveau d’il y a un an, et demeurent instables, une tendance qui pousse une partie de l’humanité dans une pauvreté plus grande », a alerté la Banque mondiale en publiant en avril ses nouvelles statistiques. 
Une situation que la présidence française du G20 a critiquée sans pour autant changer la donne. En février, le G20 finances, qui s’est tenu à Paris, a rejeté l’adoption d’une position contre la spéculation sur les matières premières. Les grands pays exportateurs, Brésil en tête, voient en effet d’un mauvais œil toute mesure qui aurait pour effet d’encadrer la variation des prix.


Il y a donc peu de chances que le G20 agricole, qui se tiendra les 22 et 23 juin, se lance dans une bataille contre la spéculation. Car, au premier rang des fonds spéculatifs présents sur le marché des produits alimentaires, les banques françaises, en particulier la BNP Paribas, la Société générale (avec sa filiale Lyxor) et le Crédit agricole (par l’intermédiaire de sa filiale Amundi), ont multiplié les produits dérivés. La BNP Paribas, qui a créé des filiales à Londres et à Luxembourg, propose à ses clients des trackers permettant de « bénéficier des fluctuations du marché agricole » et de réaliser des performances qui dépassent parfois les 50 % sur un an.
D’autres grands acteurs du marché spéculent allégrement : les hedge funds (fonds spéculatifs), les investisseurs institutionnels, ainsi que les fonds de pension et les fonds souverains. On y trouve aussi les négociants, qui achètent la production des agriculteurs pour la revendre aux industriels. Enfin, les riches céréaliers européens ou d’Amérique du Nord s’en donnent à cœur joie et peuvent gagner beaucoup d’argent… pour se rattraper d’une mauvaise récolte.
En supprimant les barrières douanières, la libéralisation des marchés agricoles a attiré les investisseurs de tout poil sur des marchés agricoles où les conditions paraissent réunies pour réaliser de belles plus-values, et affamer le monde.

Publié dans le dossier
Les profiteurs de la sécheresse
Temps de lecture : 4 minutes