Lutte ouvrière pas vraiment à la fête

Le week-end dernier, le parti trotskiste organisait sa fête annuelle à Presles, à 30 km de Paris. À un an de la présidentielle, LO apparaît plus isolé que jamais.

Pauline Graulle  • 16 juin 2011 abonné·es
Lutte ouvrière pas vraiment à la fête
© Photo : Caroline Desvaux

Onze hectares bordés de champs de blé. Un parc immense coupé du monde. Tout au bout de l’allée centrale, dans la continuité de la place Karl-Marx, trône le château de Bellevue, des airs de Moulinsart un peu défraîchi. « Un tas de vieilles pierres », minimise un militant, gêné d’avouer que cette demeure bourgeoise, évaluée à plusieurs centaines de milliers d’euros [^2]
, est la propriété du parti le plus prolétaire de France…


Bienvenue sur les terres de Lutte ouvrière (LO), à Presles (Val-d’Oise) ! Comme chaque week-end de Pentecôte depuis 1971, LO, qui affiche 8 000 adhérents, y organise sa fête annuelle. Une « fête de l’Huma » petit format, qui se veut plus à gauche, et qui rassemble dans une ambiance familiale quelque 30 000 visiteurs sur trois jours. Microcosme de militants, de sympathisants proches ou lointains, ou de simples curieux. On y croise le célèbre « Conti » Xavier Mathieu, et les ­salariés de PSA-Peugeot d’Aulnay-sous-Bois qui viennent d’apprendre que la direction veut fermer leur usine. Et même un jeune cheminot cégétiste, parti à la recherche de l’icône « Arlette » pour photographier son nouveau-né avec elle.


Au programme de cette fête 2011, le folklore habituel : les banderoles en plusieurs langues « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! », les crêpes préparées par les « camarades » de Sanofi-Aventis, les enfants qui jouent à dégommer joyeusement les bobines de Sarkozy, Fillon et Parisot à l’aide d’une catapulte, le stand « Échec et Marx » (sic), les concerts… Sous l’immense chapiteau de la « Cité des sciences », un intervenant dispense ses savoirs sur le fonctionnement de l’industrie pharmaceutique. À la « Cité médiévale », on croise le fer en costume d’époque. Il y a aussi un Italien qui s’ennuie ferme derrière son stand de l’ Internazionale. Ou cet Anglais de Worker’s Fight, le « LO » britannique. Malgré les récentes manifestations contre l’austérité, « les plus importantes depuis les années 1960 », dit-il, le mouvement peine à s’imposer dans un pays « où le parti travailliste a tout verrouillé ».

À Presles, la présidentielle de 2012, c’est un non-événement. Ou presque. « Sarko ou Aubry, qu’est-ce que ça change ?, s’agace Éric Pecqueur, à LO depuis 1985 et ouvrier à l’usine Toyota près de Valenciennes. Ce ne sont que des pantins. Les véritables maîtres de la société sont les familles Bouygues, Bolloré, Peugeot ou Bettencourt. Ce sont eux qui tirent les ficelles. » Si tout le monde se doute que Nathalie Arthaud, 41 ans et trois petites années d’expérience à la tête du parti, n’atteindra pas les 5,72 % historiques réalisés en 2002 par une Arlette Laguiller forte de six candidatures d’affilée, on ne cracherait pourtant pas sur un bon score l’année prochaine. « Cela prouverait que nos idées avancent dans la société », explique Éric Pecqueur. Mais un petit score ne serait pas une mauvaise chose non plus : cela confirmerait que « nous sommes à contre-courant », se rassure Nathalie Arthaud, qui se prête de bonne grâce aux questions des journalistes tandis qu’un accordéon joue au loin.


Une alliance avec le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ? « On ne les attend pas », glisse la porte-parole, tout sourires. À l’instar des patrons qui disposent de nombreux partis 
– tous les autres en vérité –, « l’extrême gauche doit aussi avoir le choix ». Façon de dire que le temps où la LCR et LO faisaient cause commune est révolu. « Le NPA a définitivement renoncé au communisme révolutionnaire, affirme Pierre  [^3], en tee-shirt rouge bardé de la faucille et du marteau. À LO, on suit une ligne et une seule : celle du Manifeste du parti communiste de Marx et d’Engels. Au NPA, c’est le bazar, ils ne savent pas ce qu’ils veulent. »


Le NPA out , c’est donc le PC — «  allié des capitalistes » depuis son ralliement à Mitterrand et, plus tard, à la gauche plurielle — et l’ « opportuniste » Jean-Luc Mélenchon qui en prennent pour leur grade. Le Front de gauche ? Un « parti bourgeois » comme les autres partis de gouvernement, insiste la future candidate, qui juge que « l’alternance gauche/droite n’est qu’une duperie ». Celle qui voit déjà Mélenchon en ministre bien sage rappelle au passage que, « pendant qu’Arlette proposait l’interdiction des licenciements, Mélenchon, lui, était au gouvernement ! »


Une seule solution, donc : la révolution prolétarienne ! Quarante ans qu’on l’attend, à Presles. Sans désespérer. Les révoltes arabes donnent un peu de baume au cœur, « même si ce ne sont pas des révolutions car les travailleurs ne sont pas armés et n’ont pas pris le pouvoir », précise Éric Pecqueur, qui préfère citer la victoire de 1917. « On ne peut pas savoir quel sera le point de départ des révoltes, insiste Nathalie Arthaud, mais on est ­certains qu’elles arriveront. Un jour, des millions d’hommes et de femmes prendront leur destin en main, et décideront de ne plus prendre les coups, mais de les rendre. »


Et LO dans tout ça ? « On sera là pour accompagner les prolétaires dans la révolution, répond du tac au tac Antoine, 22 ans, étudiant en histoire « révolté » qui porte le brassard rouge « LO ». Mais aussi pour inventer l’après-révolution. Pour construire une société communiste, un monde plus beau. » En attendant, il s’agit d’ « éveiller les consciences », insiste Pierre. « Un militant trotskiste, c’est quelqu’un qui croit que la classe ouvrière a un rôle à jouer dans la transformation de la société, or la bourgeoisie essaye de nous faire croire que les ouvriers ont disparu, ajoute Éric Pecqueur. Pourtant, ils sont partout. Prenez cette chaise en plastique, elle a bien été construite par quelqu’un ! »


Même discours bien rôdé de Valérie Hamon, 39 ans, porte-parole du parti en Bretagne, et même exemple de la chaise en plastique appris décidément en chœur. Cette conductrice de train qui a « rencontré » LO en 1990 en a fait « [sa] vie ». Quand on lui demande en quoi consiste précisément son militantisme, elle confie avoir énormément « lu et appris ». Et noie un peu le poisson : « À vrai dire, je ne m’amuse pas à compter mes heures ! », sourit-elle. « En fait, LO, c’est une entreprise, lâche Pierre, il n’y a pas besoin de rappeler aux gens ce qu’ils doivent faire, ils le font. »
 Sur la grande scène du parc, se poursuit le discours long de 40 minutes commencé par l’indémodable « Travailleuses, travailleurs ! » Au micro, Nathalie Artaud répète ce qui ne sera donc pas un « programme » présidentiel : l’interdiction des licenciements, le partage du temps de travail et l’augmentation des salaires, « l’expropriation » des banques pour créer à la place un seul établissement dirigé par peuple, la transparence sur les comptes des entreprises pour éviter de se faire duper par les patrons menteurs… Quelques gouttes de pluie tombent sur le public affalé sur la pelouse. Qui se lève mollement et entonne, le poing levé, « l’Internationale ».

Illustration - Lutte ouvrière pas vraiment à la fête


Pour cette fête 2011, avec le folklore habituel, des banderoles en plusieurs langues proclament : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » 
* 


[^2]: Selon l’évaluation (sans doute à la baisse) de Robert Barcia, alias « Hardy », l’un des dirigeants de LO, qui chiffrait le patrimoine à « 3 millions de francs » en 2003 (source : la Véritable Histoire de lutte ouvrière, entretiens avec Christophe Bourseiller, Denoël, 2003).

[^3]: Le prénom a été changé.

Politique
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