Un marché plein d’assurance

Grâce à la réforme de la dépendance, les opérateurs privés – banques, assurances, mutuelles – pourront capter de nouvelles parts de marché. Photo de famille des principaux concernés.

Thierry Brun  • 9 juin 2011 abonné·es

Les compagnies d’assurances, les banques et quelques groupes mutualistes et de prévoyance piaffent d’impatience. Ces opérateurs privés attendent depuis 2008 un projet de loi sur la prise en charge de la dépendance des personnes âgées, une promesse présidentielle qui a été repoussée en 2009, puis en 2010… En attendant, un coup de pouce leur a été concédé en 2008 avec une nouvelle réglementation sur les contrats d’assurance collectifs, intégrant notamment la dépendance. À l’époque ministre de la Solidarité, Xavier Bertrand avait expliqué que les pouvoirs publics comptaient sur l’intervention des acteurs de l’assurance pour accompagner l’effort public en matière de dépendance. Or, ces acteurs se partagent déjà un marché qui ne demande qu’à grossir. Les plus importants sont connus du grand public : Prédica, filiale du groupe bancaire Crédit agricole-LCL, Prima (AG2R-La Mondiale), Groupama et CNP Assurances contrôlaient les trois quarts des cotisations en 2009, indique le groupe Xerfi, institut d’études de marché.


Et si l’on en croit Nicolas Sarkozy, les opérateurs privés pourront capter de nouvelles parts du marché. « Quand nos finances publiques sont dans la situation où elles sont, quand le travail est à ce point taxé, quand 5 millions de Français ont déjà souscrit une assurance-dépendance, est-il raisonnable de ne pas s’interroger sur le rôle que peuvent jouer les mutuelles, les compagnies d’assurances et les organismes de prévoyance ? », a demandé le chef de l’État en lançant en février le débat autour de la réforme de la dépendance. En clair, il ne faudra pas compter sur la Sécu, déficitaire, qui a consacré plus de 24 milliards d’euros à la dépendance en 2010, soit 1,2 % de la richesse nationale. Il est donc temps pour le secteur privé de prendre le relais, lequel ne pense qu’au fort potentiel de croissance à moyen terme du marché de la dépendance. La Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) a fait ses comptes : « La collecte des cotisations au titre de cette garantie s’élève à 538 millions d’euros en 2010. Ce sont un peu plus de 3,6 milliards d’euros qui ont été provisionnés à l’issue de cette même année. » C’est peu, comparé aux 30 milliards d’euros de la complémentaire santé, notent les assureurs. Mais le nombre de personnes dépendantes, actuellement estimé à près d’un million, devrait progresser de 50 % à l’horizon 2030, selon des études. Et le coût de la dépendance ne cesse de progresser. Une telle perspective entraînerait une généralisation de l’assurance-dépendance et « démultiplierait ce marché, qui pourrait atteindre 10,9 milliards d’euros en 2011, en cas d’obligation d’assurance », a chiffré l’association de consommateurs UFC-Que choisir [^2], qui pointe « le lobbying actif des assureurs en faveur d’une délégation au secteur privé du financement du risque de dépendance ».

Les opérateurs privés se positionnent en effet sur un marché en devenir totalement dérégulé. « Les assureurs ne jouent pas le jeu de la transparence. Les produits assurantiels contre la perte d’autonomie sont complexes, et leur fonctionnement est peu compréhensible par les consommateurs non avertis », commente l’UFC-Que Choisir, qui a étudié les huit principaux contrats d’assurances privées [^3]. L’association ajoute : « Ils sont illisibles et imprévisibles. Pire, l’exemple américain, premier marché de l’assurance au monde, souligne que moins de la moitié des cotisations perçues reviennent aux assurés. » Les groupes proposant ces contrats manquent aussi de transparence. Certains, comme AG2R, concentrent les activités d’assureur privé, d’organisme mutualiste et de prévoyance, et d’organisme paritaire intervenant dans la gestion de la complémentaire retraite de la Sécurité sociale. Le mélange des genres n’est pas sans provoquer des conflits entre intérêt privé et gestion de la protection sociale. Les mêmes groupes bancaires, mutualistes et d’assurances interviennent aussi auprès des acteurs de la filière médico-sociale, dans le cadre de partenariats, voire de prises de participation chez les opérateurs commerciaux. C’est le cas du Crédit agricole, par l’intermédiaire de sa filiale Predica. De même, Malakoff Médéric, groupe de prévoyance et d’assurances piloté par Guillaume Sarkozy, est présent au sein de Korian, coté en Bourse, qui gère maisons de retraites et cliniques spécialisées. DomusVi, entreprise gérant des maisons de retraite médicalisées, est une filiale de la Caisse d’épargne et de la mutuelle d’assurance Macif.


Les fonds de pension et d’investissement ont aussi pointé le bout de leur nez. Covéa, qui se présente comme un groupe mutualiste réunissant la GMF, la Maaf et MMA, a acquis 18,6 % du capital de Medica, l’un des principaux groupes de maisons de retraite et de cliniques en Europe, dont le capital est aussi détenu par Predica (Crédit agricole) et par un fonds d’investissement, BC Partners. En 2003, un fonds de pension britannique, Bridgepoint, n’avait pas hésité à flamber 330 millions d’euros pour mettre la main sur Medica. Et ce business n’en est qu’à ses balbutiements…


[^2]: Prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées : pour un nouveau schéma de financement UFC-Que choisir.


[^3]: AG2R, Banque postale, CNP, Crédit agricole, Groupama, Harmonie Mutuelles, MMA autonomie, MMA Plan autonomie.

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