À contre-courant / Le néolibéralisme à son propre piège

Dominique Plihon  • 28 juillet 2011 abonné·es

La crise financière s’est brutalement aggravée en Europe et aux États-Unis en ce début d’été 2011 car les gouvernements ont échoué dans la maîtrise de leurs finances publiques. Aux États-Unis, le Trésor sera en cessation de paiement le 2 août, à moins que le Congrès ne vote un relèvement du plafond de la dette publique. Or la majorité républicaine exige des coupes claires dans le budget de l’État fédéral, qui remettraient notamment en cause le nouveau programme de santé de l’administration Obama [^2].

Les conséquences internationales d’un défaut sur la dette états-unienne seraient considérables, étant donné le rôle central du dollar. En Europe, la zone euro se trouve au bord de l’implosion car les politiques d’austérité imposées par les gouvernements pour « rassurer les marchés » ont échoué. L’aggravation de la crise révèle les deux faces opposées des politiques néolibérales qui frappent durement les travailleurs et leurs acquis sociaux, mais ne s’attaquent pas aux acteurs financiers, pourtant responsables de la crise [^3].

D’un côté, les gouvernements utilisent la crise pour renforcer la rigueur salariale et réduire les dépenses publiques en s’attaquant en priorité à la protection sociale. Le Pacte pour l’euro adopté par le Conseil européen à l’instigation de l’Allemagne et de la France en mars 2011 codifie ces politiques en interdisant l’indexation des salaires sur les prix et en demandant aux pays membres d’inscrire l’obligation d’équilibre budgétaire dans leur constitution. D’un autre côté, les gouvernements se refusent à mettre en œuvre les réformes financières qui permettraient de casser les rouages de la spéculation. Malgré les déclarations d’intention proférées lors des G20 successifs sur la nécessaire réforme du système financier international, aucune mesure efficace n’a été décidée pour mettre au pas les fonds spéculatifs et les agences de notation, ni pour interdire les paradis fiscaux et les instruments spéculatifs tels que les credit default swaps (CDS), qui déstabilisent les marchés des dettes publiques et des matières premières.

Les gouvernements et les banques centrales sont pris au piège de leurs choix politiques : ils n’ont aucune prise contre la spéculation qu’ils se sont refusés à combattre. Les acteurs financiers, aveugles et cupides, dictent leur loi en demandant toujours plus d’austérité. Or l’expérience montre que les politiques d’austérité sont économiquement inefficaces et socialement injustes. Inefficaces car elles fragilisent les pays les plus endettés qui n’ont pas les ressources pour faire face à la charge de leur dette. Injustes car elles frappent en priorité les couches sociales les plus défavorisées.

Pourtant, les politiques alternatives qui permettraient de sortir de l’impasse néolibérale sont évidentes. Les déficits publics proviennent non pas d’un excès de dépenses publiques (en France, leur poids par rapport au PIB n’a pas augmenté récemment), mais de la diminution des recettes publiques provoquée par l’évasion fiscale – organisée par les États néolibéraux – des grandes entreprises et des hauts revenus. En Grèce, l’équivalent du tiers du PIB échappe ainsi aux prélèvements fiscaux. En France, les niches fiscales représentent une perte pour l’État estimée à 100 milliards d’euros chaque année, soit l’équivalent des deux tiers du déficit public. Aux États-Unis, les réductions d’impôts accordées par Bush, et non remises en cause par Obama, plombent fortement le budget fédéral. Supprimer ces trous fiscaux permettrait de rétablir les finances publiques. Cette évasion fiscale injustifiée, le plus souvent au profit des plus fortunés, a été l’une des causes majeures du gonflement les dettes publiques dans le passé. Il convient de procéder à une annulation de cette dette illégitime, à la suite d’un audit permettant d’évaluer celle-ci.

Cette mesure doit être au cœur d’une renégociation des dettes souveraines, à commencer par les pays les plus endettés. Le deuxième volet des politiques qui s’imposent à l’évidence pour sortir de la crise financière est de « désarmer les marchés », c’est-à-dire de prendre enfin les mesures contraignantes mentionnées, que les gouvernements n’ont pas eu la volonté de décider, à l’encontre des acteurs et des instruments de la spéculation, et de s’attaquer aux paradis fiscaux, sources majeures d’évasion fiscale.

[^2]: Voir l’analyse de Robert Guttmann, Politis n° 1162, du 21 juillet.

[^3]: Voir le Piège de la dette publique. Comment s’en sortir, Attac, Les Liens qui libèrent, 2011.

Temps de lecture : 4 minutes