Feu symphonique

Okkervil River sort un sixième album à l’écriture noire, dense et plus ambitieuse que jamais.

Jacques Vincent  • 28 juillet 2011 abonné·es

Okkervil River a été fondé en 1998 par Will Sheff, très vite rejoint par Jonathan Meiburg. Les deux hommes ont ensuite créé Shearwater, avant que chacun ne prenne en charge les destinées de l’un de ces deux groupes frères. Meiburg, celles de Shearwater ; Sheff, celles d’Okkervil River, qui s’est aussi fait remarquer l’an passé en accompagnant le retour de Roky Erickson. De quoi se faire définitivement un nom et une réputation.
Pour ceux qui ne la connaissent pas, il ne faudrait pas pour autant penser que la musique de Will Sheff a quelque chose à voir avec celle de l’ancien leader des 13th Floor Elevators. Sauf peut-être dans une certaine démesure, mais qui tient plus à une obsession symphonique qu’à un dérangement mental – encore qu’on ne s’aventurera pas à un diagnostic définitif de ce côté-là. Pas à propos de quelqu’un dont la poésie fiévreuse et exaltée charrie des fleuves de sang.


Féru de littérature, Sheff écrit des nouvelles noires dans lesquelles les mots bousculés racontent les histoires d’un monde où « les rues toutes mouillées sont les seules choses qui brillent ». Qu’on en juge par le morceau d’introduction : « Nous regardons le soleil s’allumer et s’éteindre dans le ciel pendant que notre ami est en train de saigner sur la pelouse de fin d’été… »
 En accord avec le texte, la musique se fait menaçante, et les coups de baguette sur la caisse claire de la batterie résonnent comme des coups de fouet ou de feu. La batterie joue d’ailleurs un rôle de premier plan dans l’organisation sonore générale, capable d’exploser dans tous les coins comme si elle se démultipliait. Il y a quelque chose de Phil Spector dans cette façon de faire. Avec la différence que, si ce dernier disait, dans les années 1960, composer de petites symphonies pour les gamins, celles d’Okkervil River s’adressent à un public plus âgé.

Will Sheff n’est pas non plus ennemi du vacarme, pas tant qu’il sert ses noirs desseins. Pas adepte du chaos pour autant. Tout est parfaitement pensé et maîtrisé. Orchestré est le mot. Et il le faut pour faire cohabiter cette violence rentrée, ces coups durement assenés au silence, et les cordes, hautbois, mellotron ou piano. Et pour en faire l’écrin malgré tout docile de cette voix exceptionnelle évoquant parfois David Bowie pensant à Scott Walker. Peut-être aussi pour produire une musique assez forte pour sublimer ces histoires qui font froid dans le dos.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes