Les cent jours qui ont changé la France…

Mai 2012 : Anémone est élue présidente de la République. Jean-Luc Mélenchon et Cécile Duflot sont Premiers ministres. Comment Anémone a été élue, les premières mesures du gouvernement, les bouleversements dans les médias : récit.

Denis Sieffert  et  Christophe Kantcheff  et  Jean-Claude Renard  • 28 juillet 2011
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Les cent jours qui ont changé la France…
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© Myr Muratet

Illustration - Les cent jours qui ont changé la France...

Dans son bureau présidentiel baigné par une belle lumière d’automne, Anémone est songeuse. Cent jours, ou un peu plus, après son élection surprise à la présidence de la République française, l’heure des bilans n’a pas sonné, mais le rythme effréné des premières semaines au pouvoir s’est un peu ralenti. La Présidente a retrouvé du temps pour réfléchir, s’arrêter sur les derniers mois de folie qu’elle vient de vivre.


– Turlutte ! 


C’était l’année des « T » quand elle s’était acheté son chihuahua. Elle avait pensé lui donner un nom plus politique ; elle avait même opté pour Tchéguévara, quand elle s’était dit finalement que c’était un peu lourd à porter.


– Turlutte, tu ne joues pas avec le discours que je dois prononcer demain !


Anémone avait déposé son chien de poche sur son bureau, et celui-ci commençait à s’amuser avec le petit paquet de feuilles noircies d’encre.


– Tiens, joue plutôt avec ça ! 


Elle empoigne son chien qu’elle dépose doucement sur la moquette, avant de lui lancer sa balle.


Un geste habituel, mais historique. Car c’est au moment même de lancer la balle à Turlutte, huit mois plus tôt, qu’elle prit la décision de se présenter à l’élection présidentielle.


Le parti de l’UVG


Cela lui était apparu comme une évidence. « Il faut que je me présente ! » Depuis longtemps déjà Anémone avait la tête politique. Dès la fin des années 1960, elle était tombée dans la marmite de l’écologie et du féminisme. Plus tard, elle s’était passionnée pour l’économie. Elle avait lu tous les « alter », et était incollable sur Susan George ou sur James Galbraith, le fils du grand John. Pour elle, l’économie était un « art ménager », parce qu’elle s’apparente à la bonne gestion que chaque ménage doit effectuer. Le reste n’est qu’une question d’échelle. Depuis peu, elle avait même fondé un parti, comme ça, sans faire de bruit, sur le mode de : « On ne sait jamais, ça peut toujours servir. » Elle ne croyait pas si bien dire. Le nom de son parti était à lui seul un programme : l’UVG, l’Union de la vraie gauche.



Évidemment, c’était un peu paradoxal : quand on milite pour l’« union », on est opposé à la multiplication des candidats à gauche. Anémone savait qu’elle serait renvoyée à cette contradiction, et qu’on agiterait pour la énième fois le spectre du 21 avril 2002. Elle s’y attendait et dès qu’elle fit l’annonce publique de sa candidature, un soir, sur le plateau du JT de France 2, où l’on pensait qu’elle se bornerait à parler du nouveau film de Philippe Garrel, où elle tenait le premier rôle, avec Michel Galabru, les attaques fusèrent. Elles vinrent de tous les candidats de gauche, mais François Hollande fut le plus violent. Sans doute parce qu’à ce moment-là déjà le candidat socialiste n’en menait pas large dans les sondages face à un Sarkozy requinqué par une campagne sordide, mêlant toutes les peurs à toutes les promesses. Mais, surtout, parce que depuis qu’il était candidat, François Hollande avait décidé de se départir de son sens de l’humour, qui était pourtant l’une de ses principales qualités. En fait, il était jaloux. Et c’est bien ce qui transparaissait dans la petite phrase du candidat du PS que tous les médias avaient reprise : « La France n’a pas besoin de Coluche en jupon ! »


– Tu vois Henri, se désolait Anémone un soir qu’elle prenait un verre avec Henri Guybet, son partenaire dans la pièce de boulevard qu’elle jouait en 2011, ce qui m’attriste le plus, c’est le machisme indécrottable de toute cette classe politique. 


– Ouais, tu te rappelles Fabius quand Royal s’était déclarée candidate pour l’élection de 2007 : « Mais qui va garder les enfants ? »


– Quel pauvre type !


– Cela dit, c’est pas mieux en face.


– Tu parles. L’autre nabot, le nom de Coluche lui écorcherait la bouche. Il ne connaît que cet abruti de Bigard.


– Mais dis, tu vas vraiment aller jusqu’au bout, ou faire comme Coluche, justement, t’arrêter avant l’élection ?


– Tu te rappelles pourquoi il s’est retiré en 1981 ? Il avait reçu des menaces de mort…

– Oui, ça, il avait foutu un sacré bordel, et l’ordre établi ne l’acceptait pas…


– On verra ce que je ferais si ça m’arrive. Pour le moment, hormis l’hostilité des autres candidats, c’est plutôt l’inverse qui se passe : je reçois plein de promesses de signatures de maires qui m’ont à la bonne. J’obtiendrai les fameuses 500 signatures haut la main !


– Et qu’est-ce que tu vas répondre à ceux qui te disent que tu divises la gauche ?


– Ça, j’y ai bien réfléchi. Regarde ce qui se passe : les socialos, on est d’accord, appliqueront une politique social-démocrate, pas antilibérale. Il faut donc les battre à gauche. Eva Joly ? On sait tous qu’elle ne va pas aller jusqu’au bout, les écolos vont se rallier aux socialistes à cause des accords pour les législatives. Mélenchon ? Il ne décolle pas dans les sondages. Et je ne te parle même pas du gars du NPA. Alors voilà. Je me suis dit qu’il fallait secouer le cocotier, créer une situation nouvelle, et parier sur le fait que je représente vraiment, aux yeux des gens, l’« union de la vraie gauche ».


– Dis donc, t’es devenue une vraie disciple de Clausewitz ! Quelle stratège tu fais !


– C’est toujours mieux que de se faire conseiller par Euro RSCG ! T’as vu où ça a mené Strauss-Kahn !


Ils rigolent.


– Bon, mais c’est pas tout ça, t’as un programme ?


– J’y travaille, Henri, j’y travaille…


– Et un slogan ?


– Un programme écologique en béton, un programme social en or…
– Euh, pas fameux, ça.


  • Mais non, je blague. Mon slogan, il est tout simple : « Avec Anémone, respire ! »


– Tu n’oublies pas de me mettre dans ton comité de soutien, hein ?



Anémone travaillait d’arrache-pied. Elle avait tracé cinq ou six grandes directions qui allaient constituer son programme, et développait ses propositions en consultant des proches qui s’y connaissaient, ou des personnes qu’elle estimait de grande valeur. Ainsi, sur la politique agricole, elle savait les mesures à prendre pour stopper le productivisme et l’usure des sols grâce à son frère, Claude Bourguignon, un ingénieur agronome de haut vol, fondateur du Laboratoire d’analyse microbiologique des sols, dont les interventions dans le beau film de Dominique Marchais, le Temps des grâces, avaient été remarquées. Pour les libertés publiques, l’immigration et la justice, Anémone avait travaillé avec Clarisse Taron, du Syndicat de la magistrature, et Michel Tubiana, de la Ligue des droits de l’homme. Elle ne connaissait ni l’une ni l’autre, mais les avait entendus ici ou là, avait lu des tribunes qu’ils avaient signées dans la presse. Elle les trouvait d’une pertinence aiguë. Elle ne fut pas déçue. En outre, elle ne fut pas insensible au charme robuste d’un homme comme Tubiana. Ce qui ne gâchait rien…


Calée en économie, Anémone se débrouillait bien toute seule sur le sujet. Elle passa tout de même quelques coups de fil, dont l’un à Frédéric Lordon, qui avait publié en 2011 une pièce en alexandrins sur la crise financière, D’un retournement l’autre (Seuil), qui avait diverti la future présidente.


La conversation donna à peu près ceci :


– Votre livre, Monsieur, enchante les esprits.


– Votre programme, Madame, me plaît aussi.


– Il est inspiré par vos thèses, cher Frédo.


– Oh, Anémone, vous flattez là mon ego.


– Non, votre approche de la finance est rusée.


– C’est vous, c’est certain, qui irez à l’Élysée.

Temps de lecture : 8 minutes
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