Vague « démondialiste » en France

Le concept de démondialisation, encore inconnu il y a quelques mois, s’est imposé dans le paysage politique et médiatique.
Sur le terreau fructueux de la crise.

Pauline Graulle  • 7 juillet 2011 abonné·es

On avait les débats sur la sortie de l’euro. Sur les délocalisations, le chômage, la désindustrialisation, les circuits de production polluants, la crise financière… Mais, aujourd’hui, c’en est fini des vieilles controverses ! À tous ces maux, une solution tout-en-un : la « démondialisation ».

La dernière idée à la mode s’est répandue sur la scène médiatique française. Quand est-elle apparue ? Difficile à dire… Paradoxalement, il faut attendre un Premier ministre – et conservateur par-dessus le marché ! – pour en entendre parler publiquement : en janvier 2009, Gordon Brown évoque ainsi la « spirale préjudiciable de démondialisation » (« de-globalization »). Mais la sauce ne prend pas immédiatement. En France, les recherches du vocable dans Google explosent à partir du mois de mai 2011 [^2]. Mi-juin, la Tribune affirme que, selon l’Ifop, deux Français sur trois « condamnent l’ouverture des frontières » . Des quotidiens aux JT en passant par la blogosphère, on parle abondamment de ça : les « dé », les « pro », les « anti », les « alter »… D’un côté, les tenants d’une mondialisation libérale assumée ; de l’autre, les défenseurs d’un repli identitaire ; au centre, les partisans d’un protectionnisme social et écolo. Le tout sur fond de querelles entre des économistes qu’on croyait faits, grosso modo, de la même argile (voir pages suivantes).

S’il est difficile de savoir dans quel jardin a été trouvée la pomme de discorde, le casus belli remonte sans doute à l’essai de Jacques Sapir [^3] paru en avril dernier. Début juin, neuf membres d’Attac y répondent par une tribune cinglante publiée sur le site Mediapart : ils estiment que la démondialisation est un « concept superficiel et simpliste ».

Quelques jours plus tard, l’économiste « démondialisateur » Frédéric Lordon dégaine sur son blog un billet offensif où il se demande (en 36 000 signes !) « qui a peur de la démondialisation ? » . Les réactions des internautes se comptent par centaines. Le buzz vaudra à Lordon une invitation du site d’Arrêt sur images pour débattre avec l’altermondialiste d’Attac France, Thomas Coutrot (lire p. 20). Match nul à l’arrivée, où l’on s’aperçoit que les deux ne sont pas loin de penser la même chose…

En parallèle, la vague démondialiste prend de l’ampleur dans les médias grand public. Le 9 juin, le « 20 heures » de France 2 présenté par David Pujadas consacre près de trois minutes à ce « concept qui est en train de s’imposer dans l’ensemble du spectre politique français » . On y entend que le Front national est le « premier parti à avoir milité contre la mondialisation économique »  (sic !), et que, pour Marine Le Pen, la mondialisation, « c’est faire fabriquer par des esclaves pour vendre à des chômeurs » . On y voit aussi un Arnaud Montebourg professoral qui énumère les ingrédients de sa recette « démondialiste » : « Protectionnisme, contrôle des capitaux, utilisation de la monnaie à des fins politiques… »

Si, du FN à Jean-Pierre Chevènement, beaucoup se revendiquent comme les chantres de la démondialisation, c’est bien Arnaud Montebourg, dans sa course aux primaires du PS, qui a réussi à imposer le concept au cœur du débat public. Celui qui veut faire de la démondialisation le « talisman de son projet » (et, pourquoi pas, un débat central de la présidentielle) a diffusé sa « marque » à grand renfort de passages télé et de débats publics. Grâce aussi à la promotion de son ouvrage programmatique Votez pour la démondialisation ! [^4], où il n’hésite pas à user de curieux oxymores comme la « démondialisation internationaliste » ou le « protectionnisme coopératif »

C’est que la démondialisation est un filon commode, un concept suffisamment flou pour attiser les polémiques, mais aussi, inversement, pour mettre tout le monde d’accord. Et qui permet donc de ratisser large dans l’électorat : des jeunes diplômés au chômage aux ouvriers victimes de délocalisations, des agriculteurs aux « petits patrons » qui ont « compris que le système économique fonctionne comme un prédateur qui dévore la valeur générée par [leurs] efforts créatifs et les risques [qu’ils ont] su prendre » , écrit Montebourg.

Plus fondamentalement, en voulant réduire l’échelle des échanges financiers au périmètre démocratique, la démondialisation porte en elle cette promesse (fallacieuse ?) que le politique recouvrerait enfin son pouvoir d’agir : « La démondialisation, c’est le droit de décider à nouveau de notre destin ! » , clamait le candidat aux primaires socialistes lors de son « meeting pour la démondialisation » organisé le 27 juin.

Dans une France où la désindustrialisation galope et où le taux de chômage reste très élevé, les raisons de l’engouement pour cette question sont profondes. Reste que le terme en lui-même risque bien de disparaître aussi vite qu’il est apparu…

En couverture de l’ouvrage de Jacques Sapir, un planisphère en plastique bleu se dégonfle tel un ballon de baudruche. La « démondialisation » connaîtra-t-elle bientôt le même sort ?

[^2]: Outil « Tendance des recherches » de Google.

[^3]: La Démondialisation, Seuil, 258 p., 19,50 euros.

[^4]: Flammarion, 86 p., 2 euros.

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DSK, y en a marre !
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