École et sexualité : le mauvais genre de l’UMP

Valérie Sipahimalani revient sur les méthodes d’élaboration des programmes scolaires et dénonce l’attaque contre l’enseignement de la sexualité par les députés UMP et certains milieux catholiques.

Valérie Sipahimalani  • 8 septembre 2011 abonné·es
École et sexualité : le mauvais genre de l’UMP
© Valérie Sipahimalani est secrétaire nationale du SNES-FSU, secteur lycées et groupe SVT.

Au-delà de l’instrumentalisation politique qui en est faite, la polémique actuelle sur l’enseignement de la sexualité en classe de première générale reflète une grande méconnaissance de la fabrication des savoirs scolaires, du travail des enseignants et des élèves dans les collèges et lycées. L’école se doit de traiter des questions vives, de donner aux jeunes les connaissances leur permettant de se forger leurs opinions, et les outils pour en débattre. Toutes les disciplines scolaires y concourent.


Les programmes disciplinaires sont rénovés tous les cinq à dix ans, dans le cadre ou non de réformes structurelles. Il peut s’agir de mettre à jour des connaissances, de prendre en compte des besoins nouveaux (probabilités et statistiques en mathématiques, par exemple), d’introduire des outils pédagogiques, voire de transformer des disciplines (la technologie au collège en fait actuellement la douloureuse expérience). La commande émane du ministre. Elle est prise en charge par les inspections générales des différentes disciplines, qui s’entourent de groupes d’experts. Une première version des textes est mise en consultation publique auprès des enseignants, une deuxième version amendée est discutée en commission spécialisée, qui est une émanation du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) Le CSE est une instance consultative rassemblant des représentants de la communauté éducative : syndicats des personnels, associations de parents, mondes de l’entreprise et des collectivités territoriales., les textes peuvent encore évoluer jusqu’à leur passage en CSE, qui donne un avis.


L’élaboration d’un programme prend en principe une année scolaire, l’année suivante permettant la formation des enseignants et la rédaction des manuels avant l’entrée en vigueur dans les classes. Les manuels sont sous la responsabilité de leurs éditeurs, et font l’objet d’un choix collectif dans les établissements.


La réforme du lycée mise en place en seconde l’an passé a été conduite dans une urgence que rien ne justifie — hormis les suppressions de postes qu’elle permet. La consultation sur les programmes ne fut que de façade, les délais d’élaboration ont été diminués de moitié.


Si les délais ont été courts, il est vrai, les nouveaux programmes de SVT (sciences de la vie et de la Terre) n’ont provoqué aucune émotion particulière lors de leur mise en consultation, de leur adoption en CSE, puis de leur publication en septembre 2010. Au chapitre classique intitulé « Devenir homme ou femme » figuraient cependant quelques nouveautés, parmi lesquelles : « Si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée. »


La publication des manuels en mai dernier a mis le feu aux poudres. Même si cette question ne figure pas au programme, certains éditeurs ont jugé pertinent d’introduire plus ou moins explicitement dans leur manuel des éléments de la « théorie du genre ». Ce choix a provoqué l’ire de certains milieux catholiques. L’enseignement catholique a réagi par l’envoi à ses enseignants d’une mise en garde quant au choix des manuels. Mme Boutin a demandé au ministre de revoir les programmes… La polémique était lancée.


L’éducation à la sexualité n’est pourtant pas une nouveauté, et elle fait l’objet d’un large consensus dans la communauté éducative. En complémentarité avec la famille, l’école permet de débattre entre pairs. Les élèves sont demandeurs, et l’on voit dans les classes combien le savoir rassure les uns et les autres quant à leur expérience personnelle.

Le cours de sciences de la vie donne les bases scientifiques de la procréation humaine, en classe de quatrième, puis de première ou de terminale générale. Les élèves travaillent sur la puberté, la physiologie de l’homme et de la femme, les modes de régulation des naissances, l’avortement, ainsi que la procréation médicalement assistée. Au lycée, toutes les disciplines peuvent éclairer ces thématiques. En particulier, le cours d’éducation civique, juridique et sociale peut aborder les questions d’éthique et de droit liées à la sexualité. Il est par ailleurs prévu pour toutes les classes deux séances annuelles organisées par l’équipe éducative, le plus souvent par l’infirmière scolaire, parfois en partenariat (Planning familial, par exemple). Ces séances ne sont malheureusement que rarement mises en place, du fait du manque de personnel.


Permettre au jeune de se construire sereinement en lui donnant des connaissances scientifiques sur la sexualité ; montrer que l’individu humain, plus que tout autre être vivant, est le fruit de l’interaction de son patrimoine génétique et de son environnement social ; dépasser les tabous et les préjugés, notamment l’homophobie, tels sont les objectifs de l’éducation à la sexualité et des programmes de SVT. L’agitation entourant les manuels, menée par les députés les plus réactionnaires de l’UMP à des fins qui n’ont rien à voir avec les besoins des lycéens, semble bien dérisoire et honteuse au regard de ces enjeux.

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