Une émission brûlée au second degré

« À votre écoute, coûte que coûte », programme parodique de France Inter sur la santé, fait des remous. Débat.

Jean-Claude Renard  • 23 février 2012 abonné·es

Mi-janvier, un communiqué de presse annonce très sérieusement que « France Inter renoue avec la grande tradition des émissions de service et de libre antenne, et propose tous les jours un nouveau programme pour les auditeurs. “À votre écoute, coûte que coûte” sera animé par deux professionnels de la santé. Chaque jour, à 12 h 20, Philippe de Beaulieu, médecin, et Margarete de Beaulieu, psychothérapeute, répondront aux interrogations, aux attentes, mais aussi aux doutes des auditeurs. »

En guise d’ouverture, une musique pompidolienne. Et d’accueillir au bout du fil un auditeur qui raconte son histoire, pose sa question. Les réponses des médecins s’égrènent sur un ton tantôt condescendant, tantôt méprisant et arrogant. Des propos vieille France, xénophobes, réactionnaires, des discours de père la morale. Tout y passe.

Philippe et Margarete de Beaulieu défendent les traditions, cinglent le mariage gay et l’homoparentalité, les sans-abri, poussent à la pédophilie, encouragent à la zoophilie, se moquent d’un cancéreux, des malades en attente d’une greffe, ou répondent encore, en toute légèreté, à la mère d’une jeune fille de 15 ans violée, que « le viol, c’est une série de petits incidents qui provoque l’accident. Il y a deux perdants dans cette histoire, deux vies brisées, deux victimes » , avant de lui recommander d’abattre l’agresseur de sa fille. C’est du brutal.

Du brutal outrancier, caustique, paroxystique, pastiche des émissions prodiguant des conseils, à prendre, à l’évidence, au ­deuxième degré, voire au septième. Très vite, ce programme court, de sept à huit minutes, a suscité de vives réactions. « À votre écoute » est l’émission d’Inter la plus commentée sur le site de la station. Avec quelque enthousiasme. Et beaucoup de vives critiques.

« Je suis choquée et scandalisée de la façon dont l’entretien s’est déroulé, écrit une auditrice le 14 février, à la suite de l’émission du jour. Voilà une personne de 62 ans qui, quinze ans après la mort de son mari, retrouve l’amour. Les intervieweurs ne trouvent rien d’autre que de la culpabiliser en lui rappelant que c’est une honte de trahir son engagement éternel prononcé au moment de son mariage. Mais de quoi ils se mêlent ? » . « Je n’ai jamais entendu une écoute thérapeutique aussi à côté de la plaque » , juge un autre. « Ils sont à vomir » , commente encore un auditeur le lendemain.

Plus largement, estime un auditeur, « votre station se lance à son tour, comme d’autres, dans un racolage indigne basé sur les bassesses et turpitudes de l’âme humaine, au mépris de la dignité la plus élémentaire ! »

Enfin, suggère un dernier auditeur, « même l’Ordre des médecins devrait se pencher sur leur cas avant qu’ils ne fassent trop de victimes !   ». Pour la plainte, c’est fait. Un médecin d’Étampes a adressé le 12 février au procureur de Paris une plainte pour « exercice illégal de la médecine et mise en danger de la vie d’autrui » , après que les (présumés) médecins ont recommandé l’application d’une crème à la cortisone sur un herpès labial.

Il faut donc croire que tout le monde n’est pas en mesure de saisir le deuxième degré. Ou bien faudrait-il, comme le suggère Guy Bedos pour certains publics, ajouter des sous-titres aux traits d’humour ? D’aucuns rétorquent déjà que « le Tribunal des flagrants délires » n’était pas moins amoral. La comparaison ne tient pas la route. Sous les robes de la justice, l’émission de Claude Villers se déroulait en public, avec un invité vedette, taraudé par deux trublions connus (Rego et Desproges). Loin du studio feutré d’«  À votre écoute » , enregistré et animé sous des pseudonymes (on songe à Zabou Breitman et à Laurent Lafitte, la direction d’Inter refuse de confirmer). Et loin de tout affichage à caractère médical. C’est là où le bât blesse. Jouer avec la santé des gens quand ceux-là prennent pour argent comptant ce qui est dit à l’antenne.

Sans doute faudrait-il un indice exprimant clairement que l’émission se veut humoristique, provocatrice délibérément ; et sûrement pas sérieuse. Cela rassurerait un auditorat crédule et scandalisé. Sans rien enlever à l’excellence de la noire drôlerie. À moins que tout cela ne soit qu’une vaste farce. Des faux médecins aux commentaires indignés, jusqu’au toubib d’Étampes !

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