Les faux nez féministes du gouvernement

Caroline de Haas  et  Christiane Marty  et  Maya Surduts  • 8 mars 2012 abonné·es

«Toutes les civilisations ne se valent pas » , a affirmé Claude Guéant en appuyant son propos sur l’exemple de l’égalité entre les hommes et les femmes, et de « la dignité de la femme » . Propos relayé par Nicolas Sarkozy, qui renchérit sur la moindre valeur d’une société qui « n’accorde pas la même place aux hommes et aux femmes » , et par d’autres personnalités du gouvernement, comme Xavier Bertrand, qui choisit les « civilisations permettant à la femme de s’émanciper » . Nos gouvernants seraient des féministes, et on ne le savait pas !

Passons sur l’emploi du singulier : parler de « la » femme, en l’essentialisant donc, et non « des » femmes dans toute leur diversité, trahit le dilettantisme. Mais l’essentiel est ailleurs. Il est dans l’indécence de cette promotion des droits des femmes de la part de membres au plus haut niveau d’un gouvernement qui n’a absolument rien fait pour les faire avancer ! Alors que les inégalités de salaires entre les hommes et les femmes (27 %) ne diminuent plus depuis le milieu des années 1990, que la plupart des femmes restent cantonnées dans quelques professions sous-valorisées, qu’elles sont concernées au premier plan par la précarité, notamment les familles monoparentales, les immigrées, les retraitées, alors que le plafond de verre – le plancher collant, comme disent les Québécoises – se révèle d’une résistance à toute épreuve, un gouvernement soucieux d’égalité aurait engagé une véritable politique dans ce domaine.

Non seulement il n’en est rien, mais les politiques menées – l’austérité présentée comme irrémédiable, la casse de la protection sociale et des services publics… – vont à l’opposé de l’égalité entre les sexes. Les « réformes » des retraites de 2003 puis de 2010 en sont un révélateur. Alors que la pension moyenne des femmes, tout compris, ne représente que 62 % de celle des hommes, les réformes renforcent encore cette inégalité en touchant de manière disproportionnée les femmes. Même la Commission européenne note que « la paupérisation menace les retraités, et les femmes âgées constituent un des groupes les plus exposés au risque de pauvreté » .

M. Bertrand, ministre du Travail, dit ­choisir l’émancipation des femmes, dont on sait qu’elle passe par l’autonomie financière et l’emploi : quand s’est-il donc préoccupé du chômage des femmes, systématiquement supérieur à celui des hommes quelle que soit la tranche d’âge ? Il s’abrite derrière la crise pour expliquer la situation dégradée de l’emploi : mais le surchômage des femmes, leur surreprésentation dans le temps partiel et les emplois précaires datent de bien avant la crise. Rien n’a été entrepris pour y remédier.

Nos gouvernants en habits de féministes permettent-ils l’émancipation des femmes quand ils font des coupes claires dans les budgets de services essentiels pour elles (pour les hommes aussi en théorie) tels que l’accueil de la petite enfance, les services sociaux et la santé ? Pensent-ils agir pour les droits des femmes lorsqu’ils décident la fermeture de nombreux centres d’interruption volontaire de grossesse, de maternités ou encore de classes maternelles ?

Où est le souci pour la dignité des femmes quand rien n’est fait contre la part croissante de femmes en situation de pauvreté et l’augmentation de la traite à des fins de prostitution, que dénoncent les organisations sur le terrain ? Quand, malgré le niveau alarmant des violences faites aux femmes, les subventions aux associations concernées sont fortement réduites ?
Le Président affirme que les femmes doivent avoir la même place que les hommes : ­pourtant, elles ne représentent que 26 % du gouvernement et 20 % des ministres. Il n’existe plus de ministère des Droits des femmes, ni même de secrétariat, mais simplement un dossier parmi d’autres attribué au ministère des Solidarités et de la cohésion sociale.

Outre le cynisme de ce discours pseudo-­féministe en opposition si manifeste avec les actes, ce qui est inacceptable, c’est l’instrumentalisation des femmes dans cette rhétorique sur les civilisations : leur émancipation est mise au service d’une stigmatisation de l’islam, même s’il n’est pas nommé. Ce n’est pas la première fois que la droite tente de récupérer le féminisme en faisant mine d’ignorer qu’aucune religion n’accorde une place égale aux femmes et aux hommes.

Certains s’agacent de la célébration d’une journée des droits des femmes le 8 mars. Les féministes préféreraient à coup sûr qu’il n’y en ait jamais eu besoin. Mais tant qu’il y aura des femmes ­exploitées, ­opprimées, battues, violées, prostituées, précarisées, tant qu’il n’y aura pas de vraie politique pour mettre fin au patriarcat, tant que la ligne politique sera de marchandiser la protection sociale pour l’offrir aux profits privés, cette journée aura un sens.
Le féminisme a besoin de l’engagement de tous, femmes et hommes, pour construire une société réellement progressiste.

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