La guerre des gauches

Dans la 10e circonscription de l’Essonne, François Delapierre affronte le très controversé Malek Boutih.

Pauline Graulle  • 31 mai 2012 abonné·es

De Grigny à Fleury-Mérogis, de Sainte-Geneviève-des-Bois à Saint-Michel-sur-Orge en passant par Morsang… Réseau de transport peu fourni oblige, c’est en scooter que François Delapierre sillonne les cinq communes de la 10e circonscription de l’Essonne.

Impeccable en costume gris et chemise fuchsia, le candidat Front de gauche aux législatives descend de son destrier à moteur devant le tribunal d’Évry, chef-lieu de l’Essonne. Lui et une collègue du Front de gauche de la 4e circonscription rencontrent des chauffeurs grévistes de Transdev’, filiale de Veolia gérant quinze lignes de bus du département. Une dizaine de salariés passent en référé après le blocage de leur entrepôt. Dominique Bardy, candidate Front de gauche contre Nathalie Kosciusko-Morizet, fait l’article pour « Delap’ »  : « Si vous l’élisez, il pourra contribuer à supprimer le service minimum ! »

Sa première vraie bataille politique personnelle, François Delapierre, le quadragénaire qui fut aux manettes de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, la « sent bien ».  Ici, son champion a fait le meilleur score du département (15,6 %). Depuis toujours, la « circo » est acquise à la gauche. La 10e de l’Essonne n’est donc pas vraiment une terre de mission pour le second de Mélenchon, qui y fait campagne comme « un syndicaliste »  : partir des problèmes de terrain pour en révéler la dimension nationale.

Dans cette banlieue en déficit d’emplois qui renferme de mornes zones pavillonnaires ainsi que des grands ensembles détériorés (La Grande-Borne ou Grigny 2), Delapierre a choisi ses thèmes de campagne : le Smic, l’austérité imposée par les traités européens et la mise en place d’ateliers législatifs censés faire travailler les habitants sur les textes de lois – « un avant-goût de la VIe République », dit-il. Des thèmes qui ont pour mérite de cliver le débat avec son principal adversaire : le socialiste Malek Boutih, qui poursuit son itinérance électorale en Essonne après sa défaite aux législatives de 2007 en Charente.

Sur le papier, ce dernier bénéficie d’une bonne notoriété médiatique, et surtout du fait que François Hollande est arrivé en tête, avec 34,4 % des suffrages sur la circonscription, au premier tour de la présidentielle. Sur le terrain, c’est une autre histoire. Début 2012, le passage de relais entre Julien Dray, élu depuis 1988, et Malek Boutih s’est fait dans la douleur. Avec, d’un côté, les huiles de Solférino décidées à écarter le député sortant, mis en cause en 2008 dans « l’affaire des montres », sous couvert de faire élire un « candidat de la diversité ». De l’autre, la « bande de Dray » qui a maintenu la candidature de la suppléante de l’élu, Fatima Ogbi.

La primaire interne pour ­départager Ogbi et Boutih s’est soldée, au terme d’un scrutin que beaucoup jugent douteux, par une victoire à l’arrachée, à deux voix près, de Malek Boutih. « Cet épisode a laissé des traces, la moitié des militants locaux ne feront pas campagne pour Boutih », prédit Cyril Jouan, le maire adjoint de Sainte-Geneviève, élu sur une liste PS, qui a décidé de soutenir François Delapierre. L’ancien pro-Ogbi est convaincu que *« Boutih n’est pas le candidat approprié pour le PS dans cette circo : il n’est pas rassembleur et sa vision de la banlieue stigmatise les jeunes ».
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Curieux candidat en effet que l’ancien président de SOS Racisme. Accusé d’être « Sarko-compatible » par certains de ses camarades, Boutih – qui n’a pas souhaité échanger avec Politis malgré nos demandes réitérées – est une anguille politique. Ancien soutien de Ségolène Royal, rallié à Hollande après lui avoir reproché sa défaite aux législatives de 2007, aujourd’hui adhérent à « La rose et le réséda », le courant créé par Arnaud Montebourg… Une constance : la critique virulente d’un PS jugé « bunkerisé » mais qu’il n’a jamais quitté pour autant. « Boutih a dit plus de mal du PS que moi ! », ironise François Delapierre, qui connaît bien son adversaire depuis leurs années passées à SOS Racisme et dans le courant Gauche socialiste créé en 1988 par… Jean-Luc Mélenchon et Julien Dray.

Désormais, l’heure est à la bataille pour les anciens « potes ». Début mai, Boutih diffusait en Essonne des tracts laissant entendre que Mélenchon soutenait sa candidature. Une « manipulation [visant] à créer de la confusion parmi les électeurs », rétorquait le leader du Front de gauche.
Depuis, les deux candidats « sont entrés dans une guerre de collage incroyable : dans certains endroits, les panneaux électoraux sont monocolores : soit rouge, soit rose », rapporte Christian Soubra, qui se présente dans « la 10e »  sous les couleurs d’Europe Écologie-Les Verts. « On est 13 candidats sur la circo, mais les médias ne s’intéressent qu’à la bataille de personnes entre les deux candidats », grogne-t-il. C’est que l’avenir est entre les mains de ces deux-là. Le 17 juin, la gauche l’emportera dans la 10e circonscription de l’Essonne. Reste à savoir laquelle…

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