Merah : fallait-il diffuser les bandes ?

Le 8 juillet, TF1 a diffusé des extraits des échanges entre le tueur Mohamed Merah et la police. Selon Johann Bihr, il était légitime de le faire, et les médias ne sauraient être soumis au secret de l’instruction. Pour Patrick Klugman, c’est une violence infligée aux familles des victimes.

Olivier Doubre  • 19 juillet 2012 abonné·es

Illustration - Merah : fallait-il diffuser les bandes ?

La décision de diffuser ou non les enregistrements des négociations entre Mohamed Merah et le Raid relève de la responsabilité éditoriale de chaque média. Nous ne disons pas que les médias doivent les diffuser, mais qu’en tout cas ils le peuvent. Il existe évidemment une contradiction entre ces deux principes, aussi légitimes l’un que l’autre, que sont le secret de l’instruction et le droit à la vie privée d’un côté, et le droit à l’information de l’autre. Nous disons pour notre part qu’il s’agit d’une affaire qui a suscité l’intérêt général, qui a ému la France pendant des semaines : il est donc évident que des révélations aussi importantes que celles que TF1 a faites relèvent du droit à l’information du public.

Nous comprenons et respectons évidemment l’émotion des familles, mais nous jugeons simplement que ce facteur émotionnel n’a pas à primer sur le droit à l’information dans une affaire qui est aussi importante dans le débat public. De même, nous ne remettons pas en cause le secret de l’instruction, mais nous soulignons que les journalistes n’y sont pas tenus. Celui-ci n’oblige que les parties au procès. La justice est dans son droit lorsqu’elle veut chercher l’origine de la fuite, mais en aucun cas elle ne doit le faire du côté des médias. Il est normal qu’un média ait diffusé ces enregistrements qui lui sont parvenus. Cette affaire nous permet de rappeler que nous demandons depuis longtemps l’abrogation du délit de recel de violation du secret de l’instruction, car celui-ci pèse sur les journalistes et il est contradictoire avec le droit à l’information qui est consacré par toute la jurisprudence, notamment celle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

De ce point de vue, nous sommes assez inquiets de l’information judiciaire pour violation du secret de l’instruction qui a été ouverte ces derniers jours et qui, d’après certaines sources au parquet (c’est le Nouvel Observateur qui a donné cette information), porterait aussi sur le recel. Nous serons très attentifs aux suites de cette enquête. Nous avons déjà condamné la perquisition et la réquisition des enregistrements. Évidemment, les journalistes peuvent refuser une réquisition, et c’est ce qu’ont fait les personnes présentes au studio de la société de production de l’émission « Sept à huit », qui a diffusé les enregistrements. Mais c’est quand même une forme de pression grave, et d’autres journalistes n’auraient peut-être pas su qu’ils pouvaient refuser, ou auraient été impressionnés par l’uniforme…

Il faut donc que l’enquête ne se tourne pas vers les médias, afin de protéger les sources des journalistes qui ont reçu ces bandes. Tout cela ne fait que souligner à nouveau la nécessité d’amender la loi sur le secret des sources du 4 janvier 2010, de manière à ce que les réquisitions soient étroitement encadrées dès lors qu’elles concernent des journalistes ou des locaux de presse. Or, aujourd’hui, une réquisition n’a même pas besoin de l’avis préalable d’un juge !

Les failles de la loi sur le secret des sources sont apparues dans bien d’autres affaires ces derniers temps, comme celle des relevés téléphoniques des journalistes du Monde autour de l’affaire Bettencourt. Nous rappelons sur ce point que la CEDH a une nouvelle fois condamné la France en juin pour violation du secret des sources dans une affaire sur le dopage, où l’Équipe et le Point avaient été perquisitionnés. Sous l’accusation de recel de violation du secret de l’instruction, on met en danger les sources des journalistes. La France est régulièrement condamnée sur cette question. Il est urgent que le nouveau gouvernement traduise en actes ses promesses d’amendement de la loi sur le secret des sources.

Illustration - Merah : fallait-il diffuser les bandes ?

Je me suis élevé contre la diffusion de ces enregistrements car elle viole le secret de l’instruction en cours. Mais, surtout, il est extrêmement pénible pour la famille qui a perdu un fils et des petits-enfants d’entendre la voix de l’assassin deviser et se glorifier des crimes qu’il a commis. Le contenu mais également la nature du document – audio – sont absolument insupportables. En outre, celui-ci n’apporte aucun élément de compréhension, à la différence de ceux que peut apporter une ­retranscription écrite des propos du meurtrier. Et cela participe de la gloire post mortem de l’assassin de Jonathan Sandler et de ses enfants, dont je défends la famille.

Le secret de l’instruction s’applique, je tiens à le rappeler, à tout le monde, et en premier lieu aux avocats. Et ce secret de l’instruction est là, avant tout, pour protéger l’enquête. Tant que l’information judiciaire est en cours, elle doit être protégée. Il s’agit d’empêcher la révélation des faits qui sont instruits, pour ne pas permettre à d’éventuels complices de s’enfuir ou de détruire des preuves. La phase où tout le monde peut avoir accès à tous les éléments du dossier est celle du procès, qui est public et où l’ensemble des débats se déroulent au vu et au su de tous. Il s’agit donc de respecter les deux temps de la justice, celui de l’information judiciaire, qui est confidentiel, et celui du procès et du jugement, totalement publics. S’il y a un décalage entre les deux, c’est d’abord pour protéger la présomption d’innocence dans certains cas, et pour l’intérêt de l’enquête et la sérénité de la justice, mais aussi, surtout dans cette affaire, pour préserver la quiétude des familles qui, elles, n’entendront plus la voix de leurs enfants et petits-enfants.

Je ne mets cependant pas sur le même plan le fait que certains médias aient retranscrit la teneur des discussions enregistrées par la police dans ses négociations avec l’assassin et le fait de les diffuser ainsi. Si, juridiquement, c’est la même chose, on ne peut pas nier que l’atteinte, la violence de l’atteinte, n’est pas du tout la même. En outre, TF1 ou le Monde n’ont pas le même impact social ou sociétal. La retranscription écrite induit une distance plus propice au travail de réflexion que peut mener un journaliste. Ce n’est pas la même chose, quand bien même c’est la même infraction. Chacun doit donc être mis devant ses responsabilités ; TF1 devra répondre de sa décision de diffuser ces enregistrements avec toute la rigueur de la loi, devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel ou bien devant la justice.

Je considère en outre que cette décision de TF1 pose une question de trouble à l’ordre public. On ne diffuse pas impunément le témoignage audio d’un assassin qui explique pourquoi et comment il a commis ses crimes, comment il a berné les services. Cela a un impact certain sur l’opinion publique, et c’est une atteinte qui, pour moi, est quasiment constitutive d’un trouble à l’ordre public. Nous n’avons pas porté plainte pour ces faits, mais nous n’excluons pas de nous constituer partie civile dans l’information judiciaire ouverte à la diligence du parquet.
Les journalistes peuvent opposer au secret de l’instruction le droit au secret de leurs sources. Mais ils peuvent avoir à répondre du délit de recel de violation du secret de l’instruction.

Clivages
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