Le goût amer des couleuvres

L’irritation monte chez les écologistes face aux « provocations » socialistes. Mais pas au point de mettre en balance leur participation au gouvernement.

Patrick Piro  • 6 septembre 2012 abonné·es

Le député Noël Mamère, qui commente souvent un cran plus haut que ses collègues écologistes, évoque une « action concertée »  : après la sortie dithyrambique du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, sur le nucléaire, qualifié de « filière d’avenir [^2] », Delphine Batho en rajoute une couche, jeudi dernier, à la suite de l’approbation de quelques cadres socialistes. Devant des dizaines de chefs d’entreprise, lors de l’université d’été du Medef à Jouy-en-Josas (décidément très prisée du gouvernement), la ministre de l’Écologie déclare que « la France a durablement besoin du nucléaire ». La semaine dernière, Delphine Batho avait déjà fait monter la moutarde au nez des écologistes, jugeant pour la première fois que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes était « une infrastructure dont nous avons besoin [^3] ». Classique allégeance aux intérêts industriels, dans la tradition de ses prédécesseurs de droite, avenue de Ségur. La voilà désormais en rivalité avec son collègue Montebourg au palmarès des ministres repoussoirs pour les écologistes. Le ministre du Redressement productif s’était déjà fait remarquer, mi-juillet, en indiquant vouloir « regarder le dossier du gaz de schiste ». Tollé chez les écolos : pour quoi faire ? Si ce n’est dans l’espoir de rouvrir un débat qu’ils considèrent clos suite à la protestation massive qui a conduit à une loi moratoire en juillet 2011…

Depuis fin août, et pour trois mois, le prix des carburants à la pompe a baissé de 3 à 6 centimes. À l’initiative de l’État, qui en est de sa poche pour 3 centimes, via une réduction de taxation (TIPCE). Les entreprises, conviées à un effort, complètent… selon leur bon vouloir. La mesure, qui survient après une très forte hausse estivale (jusqu’à 1,46 euro/l pour le gazole et 1,65 euro/l pour le SP95), répond à une promesse de campagne de François Hollande, destinée à soulager le budget des Français. Mais on en est loin : il avait annoncé un gel des prix. De fait, la mesurette cumule les critiques. Par plein, c’est moins de 3 euros d’économie – imperceptible, estiment les associations de consommateurs. Certains distributeurs renâclent : leur marge ne serait que d’un centime par litre. La facture dépassera 300 millions pour l’État – les contribuables, in fine, automobilistes ou non. Et en cas de poursuite (fort plausible) de la hausse des produits pétroliers, les centimes grattés seront vite engloutis. Au bout, une opération de communication déguisée en geste social, et un contresens écologique qui n’a pourtant guère ému EELV : Hollande y tenait, et l’on se console en attendant le dispositif pérenne qui doit remplacer cette bancale subvention aux hydrocarbures.
Alors, une « action concertée » ou bien des « déclarations isolées », comme veut s’en convaincre l’eurodéputé EELV Yannick Jadot [^4] ? La thèse des francs-tireurs a du plomb dans l’aile, sachant que le couple Batho-Montebourg animera la délicate table ronde sur l’énergie lors de la conférence environnementale, dont la tenue, les 14 et 15 septembre, prend soudain une dimension nouvelle sous ce feu nourri de prises de position. D’autant que ce prurit de rentrée survient alors que les écologistes ont eu plusieurs fois l’occasion de manifester leurs divergences depuis quatre mois : sur la politique sécuritaire du gouvernement – démantèlement des campements de Roms, pénalisation du cannabis, répression musclée des manifestants anti-aéroport de Notre-Dame-des-Landes –, la politique énergétique – confirmation du permis de forer au large de la Guyane pour Shell (avec éviction de la ministre de l’Écologie, Nicole Bricq, qui s’y était opposée) – ou encore le forcing du Premier ministre pour tenter de s’assurer du futur vote des parlementaires EELV en faveur du Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG ou pacte budgétaire) [^5]. Quant aux deux ministres écologistes, ils sont sous haute surveillance. C’est Matignon qui a choisi leurs directeurs de cabinet. Lors des Journées d’été EELV à Poitiers (22-24 août), Cécile Duflot s’est décrite affublée d’une « muselière », qui lui permet « un petit peu de l’ouvrir ». Pourtant, à écouter les cadres écologistes, l’intensité de l’épisode actuel, sur l’échelle des divergences, ne dépasserait pas le niveau de la crispation. « Je ne dis pas que la vie est belle, mais je constate qu’il n’y a eu, jusqu’à présent, que des provocations, pas de coups de canif dans le contrat », commente Pascal Durand, qui a pris la suite de Cécile Duflot au secrétariat national d’EELV en juin dernier. Pas de ligne jaune franchie, donc. Et dans ce parti qui cultive la liberté de parole, les appréciations convergent comme rarement. Tout d’abord, la menace d’une démission des ministres EELV n’est nullement à l’ordre du jour. Même Noël Mamère, qui juge les propositions des écologistes « aujourd’hui méprisées et oubliées », s’en tient à prévenir que « l’on ne va pas avaler ce type de couleuvres trop longtemps ». Idem pour Yannick Jadot : si un divorce peut « vite arriver », il n’évoque « la question de la participation » qu’en cas de vrai casus belli : la réouverture du dossier gaz de schiste ou la relance du nucléaire, par exemple [^6].

François de Rugy, coprésident du groupe EELV à l’Assemblée nationale, fanfaronne un peu : « C’est Montebourg qui devrait s’interroger, sa position sur le nucléaire est en contradiction avec la ligne du gouvernement ! » Ligne que le Premier ministre s’était empressé de rappeler : réduire de 75 % à 50 % d’ici à 2025 la part de cette filière. Michel Sapin, ministre du Travail, fait dans la jésuitique : le nucléaire, par sa place et les investissements prévus (notamment pour démanteler les vieux réacteurs), « a de l’avenir » sans être pour autant une « énergie d’avenir ». De l’art de jouer sur les mots et les nerfs des écolos : chacun sait que François Hollande, par ses engagements limités, n’a pas fermé la porte à une future relance de l’atome en France. Formellement, Montebourg n’a donc pas déraillé… Alors, pour se rassurer, dans les rangs d’EELV, on répète que ce ne sont pas les moulinets verbaux qui comptent, mais les actes. « Et ces premiers mois de gouvernement n’ont pas été anti-écolos ! Par exemple, le plan automobile va favoriser les véhicules les moins consommateurs comme jamais auparavant », relève François de Rugy. Parmi les quelques satisfactions : Cécile Duflot a fait passer sa circulaire sur le plafonnement des loyers, et obtenu (contre l’avis de certains ministres) une augmentation de 25 % du plafond des dépôts sur le Livret A dès le 15 septembre, puis de 25 % avant fin 2012 (Hollande a promis 100 % à terme). Et s’ils attendent avec impatience des mesures fiscales écologiques fortes, les écolos saluent les premières décisions budgétaires – hausse de l’impôt sur la fortune, abandon de la défiscalisation des heures supplémentaires, contribution des pétroliers…

Autre « élément de langage », repris par les cadres écologistes : ils savaient où ils mettaient les pieds. « Nous ne sommes pas des sociaux-démocrates productivistes, ils ne sont pas écologistes spontanés : la couleuvre, on l’a déjà avalée, en connaissance de cause, en acceptant le compromis d’une participation au gouvernement ; mais les nucléocrates socialistes sont à la même enseigne : le programme Hollande prévoit bien un reflux de l’atome », argumente Pascal Durand, qui voit PS et EELV fonctionner dans leur alliance comme des partenaires sociaux, « dans le débat ». Enfin, les écologistes entendent contrebalancer l’expression muselée de leurs ministres par une pleine liberté de parole. « Je ne suis pas tenu à la solidarité gouvernementale, je ne renoncerai pas à nos valeurs pour protéger telle ou tel », avertit le secrétaire national. Et l’aile gauche d’EELV, pourtant prompte à critiquer la direction du parti, corrobore la ligne. « À ce jour, il n’y a pas eu de recul face au PS, constate Jérôme Gleizes. Pour autant, nous veillerons à ce qu’EELV ne se ridiculise pas… trop vite ! » Car, selon lui, le premier test de solidité de la stratégie écologiste est imminent : le vote sur le TSCG par le Parlement, prévu en octobre. « Le “non” actuellement dominant chez nos élus pourrait bien évoluer vers une abstention… » Ainsi François de Rugy n’exclut pas d’assouplir sa position si le cœur du texte proposé à la ratification est enrichi de quelques améliorations. Fin juin, Alain Vidalies, ministre des Relations avec le Parlement, avait raillé les velléités d’autonomie des élus écologistes, jugeant leur « liberté d’expression » distincte de leur « liberté de vote ». « Hallucinant et idiot ! », s’était exclamée Dominique Voynet, la plus capée des ex-ministres verts du gouvernement socialiste de Lionel Jospin. La position finale d’EELV sur le traité doit être adoptée lors du conseil fédéral du 22 septembre.

[^2]: BFMTV, 26 août.

[^3]: BFMTV, RMC, 29 août.

[^4]: France Info, 31 août.

[^5]: Voir Politis n° 1216, du 30 août.

[^6]: AFP, 31 août.

Publié dans le dossier
Les Verts face à leurs contradictions
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