Drogues : ouvrir des salles de conso ?

Plusieurs villes en France se sont déclarées volontaires pour l’ouverture de lieux de consommation de drogues à moindre risque. Laurence Cohen y voit une démarche de santé publique, tandis que Samia Ghali craint que cette initiative ne soit un préalable à la légalisation.

Olivier Doubre  • 20 décembre 2012 abonné·es

Illustration - Drogues : ouvrir des salles de conso ?

En tant qu’élue nationale, je considère qu’il est important et nécessaire d’ouvrir des salles de consommation à moindre risque (SCMR). Le sujet, finalement, ne fait pas polémique outre mesure dans le monde politique puisqu’on voit des collectivités locales dirigées par des élus de toutes sensibilités, de droite comme de gauche, qui se sont déclarées volontaires pour ouvrir de telles salles. En effet, celles-ci offrent d’abord la possibilité de renouer le contact avec des publics en danger, et coupés de tout lien avec les structures sanitaires, d’aide et d’accueil. Ces publics se mettent en danger dans le sens où ils consomment des drogues dans des conditions ­d’hygiène déplorables, ce qui entraîne de graves problèmes de santé pour eux-mêmes, mais aussi pour l’ensemble de la population, notamment en termes de contamination par les hépatites et le sida.

Implanter ces salles de consommation, c’est aussi permettre de réapprendre le « vivre-ensemble » dans un certain nombre de quartiers. Cela peut paraître paradoxal, mais c’est pourtant ce que montre l’ensemble des études sur l’impact de ces salles dans les pays où elles ont été installées, en premier lieu chez certains de nos voisins européens, comme la Suisse, l’Espagne ou les Pays-Bas. Ce type de structures favorise en effet la paix sociale de quartiers où des usagers consommaient auparavant des drogues illicites, en particulier par voie intraveineuse, dans l’espace public, dans les caves ou les halls d’immeuble, par exemple, en abandonnant souvent du matériel contaminé (seringues, notamment). Avec ces salles, ils cessent de consommer dans ces lieux où aucune hygiène n’est assurée, et le font entourés de médecins, d’infirmiers et de personnels d’accompagnement social et sanitaire.

Or, on sait que les usagers qui consomment dans la rue sont les plus précarisés et les moins suivis. Ces structures ne sont donc pas seulement bénéfiques pour les consommateurs, mais bien pour l’ensemble de l’environnement social des quartiers fréquentés par des usagers de drogues souvent en grande précarité. Ce type de dispositif ne peut évidemment fonctionner que si les choses sont travaillées en amont, avec les élus, les associations qui peuvent gérer ces salles, mais aussi avec les forces de police et les riverains. Je sais, pour avoir auditionné le Dr Élisabeth Avril, responsable de l’association Gaia [qui a reçu la première subvention, lundi 10 décembre, de la part du Conseil de Paris pour commencer la sensibilisation préalable des riverains, NDLR], que tout un travail doit être fait en direction de l’environnement de la future structure et des autorités.
Il ne faut toutefois pas non plus idéaliser les choses : ces salles ne vont pas répondre à toutes les problématiques, mais elles sont un outil parmi d’autres, dans le cadre de la politique plus globale de réduction des risques. C’est donc une bonne chose d’en ouvrir en France, d’autant plus que l’on ferait bien de s’inspirer des exemples étrangers qui ont largement prouvé leur efficacité. Toutes les enquêtes l’ont montré, notamment les conclusions de l’Inserm, qui a mené un travail dès 2010 sur le sujet.

Enfin, je voudrais souligner qu’en ouvrant ces salles, on n’est pas en train de lever l’interdit vis-à-vis des drogues dans notre société ; on est simplement en train de prendre en compte le fait qu’il y a des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, qui consomment des drogues dans des conditions d’hygiène épouvantables et qui, pour un certain nombre d’entre eux, ont perdu tout contact avec les structures sanitaires et sociales. 

Illustration - Drogues : ouvrir des salles de conso ?

Sur la question de la drogue, je considère qu’on prend le problème à l’envers. Les salles de shoot ne vont absolument pas régler le problème. Il vaut mieux apporter de l’aide aux personnes qui ont envie de s’en sortir et les accompagner vers le soin, plutôt que de créer des sites où ils pourront se droguer en toute tranquillité. Parce qu’à côté de cela, rien n’est mis en place pour tenter d’aider les familles qui ont des enfants qui se droguent.

Je souhaite qu’on affecte plutôt des moyens à la pédagogie et à la ­prévention, afin qu’on parle de la drogue dans les collèges dès la sixième, voire à l’école primaire dès le CM2, parce qu’on sait que des enfants commencent à ­toucher au haschich à l’entrée au collège. On veut singer d’autres pays en ouvrant ces maisons de shoot, alors qu’on disposait d’une formule qui fonctionnait très bien, avec des « caravanes » et des bus itinérants de Médecins du monde ou d’autres associations, qui passaient partout, apportant une aide directe aux usagers de drogue, grâce à des ­psychologues et à des médecins, et distribuaient, le cas échéant, des seringues pour éviter les contaminations par le virus du sida. Et cela a marché ! Je préfère largement ce type de dispositifs, qui sont d’abord et surtout mobiles.

De plus, j’ai beaucoup de mal à croire que le drogué qui vient juste d’acheter sa dose va prendre le bus pour rejoindre la salle de shoot et se shooter là-bas. Non, il va le faire immédiatement, là où il vient d’acquérir sa drogue. Les gens consomment là où ils achètent, en général, ils n’ont pas le temps ­d’attendre, surtout quand ils sont en manque. Par ailleurs, si l’on veut en plus installer ces salles dans des quartiers déjà en grande difficulté, notamment à cause du deal qui s’y déroule, je m’y oppose totalement. Regrouper les problèmes dans les mêmes lieux serait pire que tout ! Ce n’est pas cela dont ont besoin ces quartiers, dont je suis une élue et où j’ai vécu. Je suis mère de famille et je connais les ravages que la drogue a causés sur ma génération, je n’ai pas envie que celle de mes enfants soit touchée comme l’a été la mienne. Je crois que cette idée de salles de shoot relève d’abord d’une idéologie prônée par des gens qui ne sont pas concernés par ces problèmes et qui ne connaissent pas ces quartiers. En outre, on manque cruellement de médecins pour simplement soigner les gens dans nos quartiers, et on va mobiliser des praticiens pour des salles de shoot ? C’est le monde à l’envers !

Je pense enfin qu’ouvrir de tels sites à proximité des lieux de deal risque de précéder la légalisation du deal. Les salles de shoot sont pour moi une porte ouverte à la légalisation de la drogue. Je m’y oppose fermement. Pour ma part, j’ai déjà demandé l’intervention de l’armée dans les quartiers nord de Marseille, qui souffrent énormément de la violence des dealers. Ce sont d’abord ces moyens-là qu’il faut mettre en œuvre. Je ne vois pas pourquoi on ne le fait pas, alors qu’à Paris, quand je me promène boulevard Haussmann, par exemple, je vois des militaires partout, en armes, assurer la sécurité des gens. Pourquoi pas dans ces quartiers qui subissent la violence des ­dealers ?

Clivages
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