Conflit en Syrie : le retour du peuple

Le politologue Jean-Pierre Filiu analyse les mutations de la révolution syrienne.

Denis Sieffert  • 24 janvier 2013 abonné·es

Le 6 mars 2011, une vingtaine d’enfants et d’adolescents, âgés de 10 à 15 ans, sont arrêtés par la police syrienne pour avoir écrit sur les murs de Deraa l’un des mots d’ordre de la révolution arabe : « Le peuple veut renverser le régime. » Ils seront mis au secret pendant plusieurs jours, puis libérés après avoir subi des sévices. Entre-temps, l’indignation a saisi une partie de la population. Tout au long du mois de mars, des manifestations gagneront les grandes villes, notamment Damas. À Deraa, le 16   mars, quatre manifestants sont abattus. Leurs funérailles donnent lieu à de nouvelles manifestations de plus en plus imposantes, cibles d’une sanglante répression. Il faut lire le récit de ces journées dans le dernier ouvrage de Jean-Pierre Filiu, politologue arabisant, très bon connaisseur de la Syrie, où il fut adjoint d’ambassade de 1996 à   1999. L’auteur nous donne là un matériau pour comprendre l’essence même de la révolution syrienne, et son rapport avec les soulèvements entamés trois   mois auparavant en Tunisie puis en Égypte.

En retissant la trame des événements, Filiu montre le caractère initial, démocratique, pacifique et non confessionnel, du mouvement. Il en montre aussi la transformation quand, à partir de la mi-avril, la répression prend une autre ampleur. Quand chaque vendredi (« les vendredis de la colère ») les morts se comptent par dizaines, l’opposition tente alors de s’organiser. En juin, apparaît le Comité national pour le changement démocratique, et fin juillet l’Armée syrienne libre. C’est le début d’une intense militarisation. Le régime crée ses milices, les chabiha, qui rappellent les pires heures de la guerre civile libanaise, et il fait donner son aviation contre les villes. Les morts se comptent bientôt par milliers tandis que l’ONU survalorise une lecture internationale du conflit, aux dépens de ce que Filiu appelle « le retour du peuple ».

Dans un réflexe de survie, l’opposition se militarise et se confessionnalise. Mais, comme le dit Filiu citant un proverbe arabe, « le poisson pourrit par la tête ». Devant la résistance populaire et le jusqu’au-boutisme répressif de Bachar, les défections se multiplient dans les hautes sphères du régime. Nous en sommes toujours là 60 000 morts plus tard. En guise de conclusion, Filiu élargit le champ à l’ensemble du monde arabe. Il réaffirme notamment la centralité du conflit israélo-palestinien, et relativise les dangers de ce « gouffre confessionnel » qui semble engloutir les révolutions en Égypte et en Tunisie. « Les musulmans ne sont pas que des musulmans », écrit-il, faisant le pari que les formations islamistes seront partout « obligées de faire l’apprentissage accéléré du pluralisme ». Hélas, la révolution syrienne n’en est pas encore là.

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