Ibrahim le « sans-papier », face à la machine judiciaire

Condamné à deux ans de prison ferme pour son implication dans l’évasion de quatre retenus du CRA de Palaiseau, le jeune Ibrahim El Louar était jugé en appel, mercredi 20 mars à Paris.

Orianne Hidalgo  • 22 mars 2013
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Ibrahim le « sans-papier », face à la machine judiciaire

Ibrahim El Louar, qui le connaît ? Un « sans-papiers », un détenu de la maison d’arrêt de Fleury- Mérogis, écrou n° 399815. Un des 4 retenus impliqués dans une évasion au CRA de Palaiseau le 16 décembre 2012.

Derrière les fenêtres grillagées de la chambre 8, sous une Marianne de plâtre poussiéreuse, Ibrahim attend son tour « dans le boxe » pour la seconde fois. Ce mercredi 20 mars, le tribunal accorde quelques minutes à ce jeune Algérien de 26 ans pour plaider son innocence, par l’intermédiaire d’un interprète. Le 18 janvier 2013, le verdict du Tribunal correctionnel d’Evry avait été clair : deux ans de prison ferme et 1 200 euros de dommages et intérêts à des policiers. Motifs d’inculpations ? Tentative de se soustraire à une obligation préfectorale de quitter la France, aggravée d’un vol avec violence en réunion sur agent dépositaire de l’autorité publique.

Illustration - Ibrahim le « sans-papier », face à la machine judiciaire - Dessin : Orianne Hidalgo

En réalité, cette dernière charge provient d’une requalification des faits en première instance et permet de matérialiser la tentative d’évasion par le vol d’un badge magnétique. En effet, les «  déclarations des policiers ont quelque peu évolué  » remarque le juge rapporteur. De même, la peine encourue. Une condamnation antérieure du jeune homme pour vol enclenche le système de récidive, le temps potentiel de réclusion s’allonge par conséquent de trois à dix ans. Sans être représenté par un avocat lors de ce premier procès, alors qu’il en avait fait la demande en prison, Ibrahim El Louar a subi une procédure «  contraire à son droit d’avoir un procès équitable  », déplore son avocate, Me Kornman. Commise d’office 9 jours avant la comparution en appel, elle précise qu’elle n’a pu rencontrer son client et son interprète qu’à l’heure même de l’audience. Conseiller brièvement le prévenu dans l’arrière couloir de la salle d’audience fait-il partie du protocole traditionnel ?  

Deux témoignages et une vidéo illisible

Récapitulés par la Cour d’appel, les faits de cette nuit du 16 décembre 2012 gardent des zones d’ombre. La preuve de la culpabilité d’El Louar, qu’il dément depuis sa mise en garde à vue, se fonderait sur le témoignage de la partie civile et un enregistrement vidéo nocturne, inédit pour la défense. La parole des policiers, Frantz Pièce et Coralie Bouton, assurés de l’identité de leur « agresseur » malgré l’obscurité, conjuguée aux images des caméras de surveillance, dont la qualité ne permet d’apercevoir que quelques silhouettes, laisse perplexe.

Le poids de ces pièces est-il proportionnel à celui de la peine ? Le constat médical, quant à lui, est formel : quelques ecchymoses et hématomes sur les bras des gardiens, tandis qu’Ibrahim est interpellé dans le centre le visage tuméfié et le cou marqué.  L’avocat général, Me Darbeda, s’empresse de souligner qu’il s’agit de «  faits très graves de la part de quelqu’un qui est retenu  » pour légitimer la peine initiale. Être sans papier constituerait donc des circonstances aggravantes ?

« Est-ce que l’on peut se satisfaire de cette justice-là ? »

Tout en regrettant « les carences de cette procédure  » la voix excédée de la défense rejoint celle des militants présents. Le bilan de l’un d’eux, témoin de plusieurs audiences similaires, laisse un goût amer : public restreint, procès expéditif, peines démesurées. «  Est-ce que l’on peut se satisfaire de cette justice-là ?  », interroge l’avocate au cours de sa plaidoirie.

Orphelin, sans attache, ni adresse si ce n’est celle du centre de rétention, Ibrahim El Louar fait partie «  des justiciables les plus défavorisés  » souligne Me Kornman. Sa situation imite celle de bien d’autres anonymes, oubliés dans ces centres où la durée maximale de rétention est passée de 32 à 45 jours depuis 2011. 

Décision du tribunal, le 2 avril.

Société
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