« Bambi », de Sébastien Lifshitz : Je est une autre…

Dans Bambi, Sébastien Lifshitz dresse le portrait d’une des premières transexuelles, qui a dû conquérir sa liberté face aux incompréhensions.

Christophe Kantcheff  • 19 juin 2013 abonné·es

« Je ne voulais pas faire de provocation. Je voulais faire ma vie. C’est tout. » C’est une vieille dame élégante, encore belle, qui prononce ces mots à la fin du film de Sébastien Lifshitz. Une vieille dame qui, enfant, s’appelait Jean-Pierre, porte le surnom de Bambi et se nomme depuis l’âge de 30 ans Marie-Pierre. Bambi est un prolongement du précédent film de Sébastien Lifshitz, les Invisibles (cf. Politis du 29 novembre 2012). Des homosexuels vieillissants y racontaient leur existence, leurs amours, leurs difficultés et leur joie d’être eux-mêmes au long de la seconde moitié du XXe siècle. Bambi s’attache à une seule histoire, sans doute plus extraordinaire, au sens premier du terme, car Bambi compte parmi les premières transsexuelles en France, dont l’émergence dans la société des années 1950 s’est cristallisée autour des cabarets. Notamment celui du Carrousel, où triomphait Coccinelle, la star des trans, qui a lancé et aidé plusieurs de ses consœurs, comme Bambi, justement. Ces nombreuses images de cabaret, donnant à voir les numéros sur scène et la vie dans les loges, témoignent d’un mélange de glamour et de subversion. Comme le dit Bambi, il ne s’offrait pas aux transsexuelles plusieurs moyens de survivre : ou bien le tapin, ou bien ces salles de spectacle. Bambi y décrit d’ailleurs des conditions de travail plutôt correctes. Quant aux spectateurs, ils venaient voir des bêtes curieuses – mais les artistes l’assumaient.

Ces images de fierté joyeuse sont le résultat d’une conquête. Celle de la visibilité et de l’affirmation de soi. Il émane de la délicate Bambi un courage qui force l’admiration. Un courage qui lui est apparu comme une évidence : jamais elle n’aurait accepté de se (re)nier. Cette attitude a eu son prix, qu’on devine parfois cruel. Mais Bambi est étrangère au pathos. C’est d’autant plus évident quand elle évoque la personne qui a éprouvé les plus grandes difficultés à accepter son changement de sexe : sa mère. Ce combat permanent avec elle, fait de refus et d’incompréhension, s’est pourtant achevé par un rapprochement inattendu. Un renversement qui résonne comme une victoire de l’amour et de la liberté. Un être libre et honnête, Bambi l’est profondément au sens où elle ne s’est jamais menti sur son désir. Ainsi, malgré l’opération la transformant en femme, elle n’a pas refusé une nouvelle vie amoureuse, après quelques hommes, avec une autre femme, qui est devenue celle de sa vie. « Je ne voulais pas faire de provocation. Je voulais faire ma vie. C’est tout. » À partir de cet humble manifeste, Bambi a fait de sa vie une œuvre d’art.

Cinéma
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