La barricade, ou comment se montent les révolutions

Éric Hazan retrace l’histoire d’un objet tantôt glorieux tantôt désespéré.

Denis Sieffert  • 12 septembre 2013 abonné·es

Au milieu d’une avalanche d’ouvrages aussi volumineux que savants, voici un petit délice de lecture proposé par Éric Hazan. L’éditeur, directeur de La Fabrique, reprend ici sa casquette d’historien du Paris populaire pour nous conter l’histoire d’un « objet révolutionnaire »  : la barricade.

Si le récit est alerte, il n’en est pas moins documenté et exigeant. On y apprend que la toute première barricade répertoriée fut érigée par des huguenots en résistance contre l’armée royale, à Mont-de-Marsan, en septembre 1569. C’est en tout cas de cet épisode que surgit le mot, sous la plume du chef des troupes royales, Blaise de Monluc. Mais c’est évidemment à Paris que la première vraie « journée des barricades » (il y en eut beaucoup !) eut lieu, le jeudi 12 mai 1588. Voulant empêcher l’entrée dans la capitale du fameux duc de Guise, chef de la Ligue, parti catholique extrémiste, Henri III mobilisa la troupe. Mais l’apparition massive des compagnies de Suisses dans les rues indigna la population, « ligueuse ou pas », note Éric Hazan. Dans le Quartier latin, la population tente d’entraver la progression de la garnison. Les documents de l’époque décrivent des amas de « charrettes renversées, de pavés, de meubles variés, et surtout de barriques de terre ». Ce sont ces derniers objets qui donnent à l’ensemble sa solidité… et son nom. Les toutes premières barricades se dressent rue Saint-Jacques et Place Maubert. Mai 68 n’a rien inventé… Et nous voilà embarqués dans une longue histoire de mutineries, d’insurrections et de révolutions jalonnée de toutes sortes de barricades. Des très fameuses, comme celles de Prairial an III ; des très « glorieuses », pendant les journées de juillet 1830 qui firent tomber Charles X, et celles de février 1848 qui provoquèrent la chute de Louis-Philippe ; et, bien sûr, les barricades héroïques et tragiques de la Commune. Mais aussi des moins connues, comme celles de la Fronde, en 1648, ou celles de 1827 qu’Alexandre Dumas décrit avec enthousiasme : « On me cria “Qui vive ?” Je répondis “Ami !”, et je continuai à avancer. C’était une barricade qui s’élevait silencieusement, et comme si elle eût été bâtie par les esprits de la nuit. »

Mais Hazan n’oublie pas que c’est à Lyon que furent érigées « les premières barricades prolétariennes », en novembre 1831. Et tant d’autres, plus souvent désespérées que victorieuses, dont il nous raconte l’histoire. Avant de s’interroger sur l’avenir incertain de cet objet révolutionnaire, maintenant qu’il n’y a plus de pavés sur le Boul’Mich’ et que les armées de guerres civiles ont ce qu’il faut pour empêcher le peuple de prendre la rue. Mais, conclut Hazan, le blocage des forces de répression se fait et se fera sous d’autres formes, informatiques, par exemple.

Idées
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