Samia Ghali, la socialiste qui voudrait faire autorité

Inconnue il y a un an, l’élue des quartiers nord de Marseille a créé la surprise en atteignant le second tour des primaires. Ses positions sécuritaires n’ont rien à envier à la droite la plus musclée.

Fériel Alouti  • 24 octobre 2013 abonné·es

Avec ses talons hauts, ses vestes aux couleurs pétantes et son phrasé décomplexé, Samia Ghali n’a pas fini de faire parler d’elle. Cash pour certains, populiste pour d’autres, l’élue socialiste ne laisse personne indifférent. À 44 ans, celle que l’on surnomme «   l’insoumise   » ou «   la courageuse   » n’hésite pas à bousculer les lignes politiques de son parti. Quand, à la fin de l’été 2012, la sénatrice des Bouches-du-Rhône demande l’intervention de l’armée pour lutter contre les dealers des quartiers nord, beaucoup pensent que les médias vont vite se lasser du personnage. Mais, un an plus tard, les caméras raffolent toujours de Samia Ghali et de sa personnalité brute de décoffrage. Dans son autobiographie [^2], cette socialiste d’un genre un peu particulier se dépeint en combattante. Elle retrace les grandes lignes d’une enfance difficile et multiplie les anecdotes personnelles. Autant de témoignages de son courage et de son opiniâtreté, pensent ses proches. Du « storytelling » qui vise à se construire un personnage politique atypique et exemplaire, estiment les autres. À l’image de Marseille, la maire des quartiers nord montre que, malgré les difficultés, elle s’en est sortie. «   C’est moi qui représente la France d’aujourd’hui   », aime-t-elle à répéter.

Fille d’immigrés algériens, Samia Ghali naît à Bassens, un bidonville des quartiers nord, et grandit avec ses grands-parents dans une cité de transit. Celle qui refusera toujours de commémorer l’anniversaire de la mort de Gaston Defferre s’engage très tôt en politique. Alors qu’elle n’a que 16 ans, c’est une de ses professeurs qui l’emmène à une réunion de section du Parti socialiste. Elle y rencontre Patrick Menucci et, au fil des années, grimpe les échelons. En 2008, elle finit par entrer au Sénat et remporte la mairie des XVe et XVIe arrondissements, un des secteurs les plus difficiles et les plus pauvres de Marseille. Vingt-huit ans après son entrée au PS, c’est dans son fief des quartiers nord qu’elle remporte plus de 60 % des voix au premier tour des primaires citoyennes. Tout au long de la campagne, la maire-sénatrice reste fidèle à ses positions politiques. Droite dans ses bottes, elle affiche un discours très sécuritaire et fait de ce thème un axe de campagne. « J’ai dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas », répète-t-elle. Depuis sa sortie médiatique sur l’intervention de l’armée dans les cités des quartiers populaires, l’élue fait volontiers dans la surenchère. Dans son programme, celle qui semble fâchée avec la notion de prévention promettait notamment, une fois élue maire de Marseille, la création d’une police municipale de nuit armée et l’installation généralisée d’un système de vidéosurveillance. « Il faut de la police partout, il faut de l’ordre, il faut de l’autorité  », lance-t-elle d’ailleurs à tue-tête lorsqu’elle tracte dans les rues de la cité phocéenne. On dit l’ex-candidate proche de Jean-Noël Guérini. Elle est la seule élue locale à ne pas couper les liens avec l’ancien homme fort du PS marseillais. Un soutien qui lui vaut d’être qualifiée de « dernier espoir du système Guérini   » par son désormais ancien adversaire Patrick Menucci. «   Pourquoi je ne  [lui] parlerais pas ? Il n’a pas été condamné   », dit-elle. Mis plusieurs fois en examen, entre autres pour détournement de fonds et association de malfaiteurs, le président du conseil général est même soupçonné d’avoir œuvré en coulisses pour favoriser la victoire de sa protégée. S’il existe, le stratagème n’a donc pas fonctionné.

Grand pragmatique devant l’éternel, Gérard Collomb prône depuis des années une alliance de son parti, « figé et sectaire », disait-il à La Rochelle en 2009, avec le MoDem. Le sénateur-maire de Lyon est ainsi l’une des figures de proue de la droitisation du PS. Le 28 septembre, celui qui estime que « ces populations [roms] n’ont pas vocation à s’intégrer », signait avec d’autres élus PS une tribune de soutien à la politique d’expulsion de Manuel Valls. Le 8 octobre, il s’affichait au premier rang d’un rassemblement de 2 000 patrons brandissant un carton jaune au gouvernement. Le 11 suivant, il se félicitait d’équiper, au nom de la « tranquillité publique », sa police municipale – deuxième de France en effectifs après Nice – de flash-balls dans certains quartiers. Une conception particulière de la gauche qui paye dans une ville sociologiquement conservatrice : un sondage Ifop le donne largement vainqueur aux prochaines municipales. Mais ailleurs ?

Si Samia Ghali dément un quelconque soutien de Jean-Noël Guérini, elle lui reste en tout cas fidèle. C’est d’ailleurs l’une des rares élues du PS à ne pas avoir réclamé son exclusion du parti. Et elle reste prudente dans les mots qu’elle emploie. Elle parle ainsi de « compromis », de « petits arrangements   », de « passe-droits », mais jamais de clientélisme et encore moins de « système Guérini ». « Je ne sais pas ce que c’est, ça existe ?, demande-t-elle. Ceux qui tapent sur le système sont les mêmes qu’il berce depuis quarante ans. » Car, selon la candidate, c’est la pauvreté qui est responsable de ces mauvaises habitudes. « Lorsque l’on réglera le problème de l’emploi et du logement, on mettra fin à ces comportements   », conclut-elle.

Et même lorsqu’un rapport de la cour régionale des comptes révèle que le conseil régional a versé 960 000 euros de subventions entre 2004 et 2010 à une association tenue par un de ses cousins alors qu’elle était vice-présidente du conseil régional déléguée aux Sports, à la Jeunesse et à la Vie associative, Samia Ghali refuse la qualification de clientélisme. « J’ai apporté, dans le cadre de la politique régionale, un financement pour l’équipement sportif et je l’assume. C’est là  [la cité Campagne-Lévêque, NDLR] où j’ai grandi, là où j’ai joué au foot. Cette somme a servi à construire un vestiaire et à poser une pelouse synthétique. Le montant a été important car il y avait beaucoup de travaux à réaliser. Et je vous rappelle que cette association était financée avant et après ma présence à ce poste   », soutient-elle. Malgré les sondages qui la donnent perdante, Samia Ghali crée la surprise au premier tour des primaires. Montrant notamment à ses adversaires qu’elle sait utiliser les réseaux. Son recours à des minibus pour transporter des électeurs des quartiers nord jusqu’au bureau de vote lui vaut une avalanche de critiques de la part de ses « camarades ». La ministre Marie-Arlette Carlotti, adversaire du premier tour, n’hésite pas à parler d’organisation « paramilitaire ». Mais, comme à son habitude, la candidate tient bon et répond qu’elle n’a fait que pallier le manque de transports. Le mal est fait : les socialistes accusent Samia Ghali de donner une mauvaise image de leur parti, ses adversaires le lui font payer. À l’exception d’un seul, Patrick Masse, qui a opté pour la neutralité, tous se sont ralliés à Menucci. L’entre-deux tours s’est transformé en un face-à-face impitoyable où tous les coups étaient permis. Samia Ghali a sorti les griffes et n’a de cesse de refaire le match Paris-Marseille. Celle qui, depuis plusieurs mois déjà, tente d’utiliser l’impopularité du gouvernement Hollande pour attirer les voix des électeurs déçus multiplie les déclarations anti-gouvernement. Elle se dit ainsi opposée au projet de grande métropole prévu en 2016, qu’elle qualifie de « boîte à outils sans outils   » et se considère « victime » du gouvernement. Selon elle, c’est Matignon qui a fait pression sur Eugène Caselli (arrivé 4e au premier tour) pour que celui-ci rejoigne Menucci. Celui avec qui elle a commencé à militer est devenu un traître, un « candidat de Paris ». « Ce ne sont pas les Parisiens qui vont décider qui va affronter Gaudin   », lance-t-elle. Pourtant, cette stratégie s’est avérée perdante. Les traits tirés et la mine déçue, Samia Ghali a eu du mal à reconnaître sa défaite. À la tribune de son quartier général, elle pestait : « Nous avons eu une victoire parce que, quand on se bat contre cinq candidats plus le gouvernement, franchement, je trouve qu’on n’a pas à se plaindre. » Le temps que la pilule passe, et l’élue rejoindra l’équipe du candidat à la mairie de Marseille. Fériel Alouti

[^2]: La Marseillaise , éditions du Cherche-Midi, 2013.

Publié dans le dossier
La gauche immorale
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