« The Immigrant », de James Gray : Cet infernal paradis

James Gray raconte l’arrivée douloureuse d’une immigrante aux États-Unis au début du XXe siècle.

Christophe Kantcheff  • 28 novembre 2013 abonné·es

Dans la grande salle d’Ellis Island, porte d’entrée sur New York impitoyablement sélective, Ewa et sa sœur sont anxieuses. L’une, Magda (Angela Sarafyan), ne peut retenir sa toux : les services de santé la suspectent d’être tuberculeuse et l’envoient à l’hôpital. Tandis qu’Ewa (Marion Cotillard) est accusée de s’être conduite légèrement sur le bateau. Toutes deux sont vouées à être renvoyées dans leur Pologne natale. N’était Bruno Weiss (Joaquin Phoenix), animateur d’un théâtre de variétés, qui repère la beauté d’Ewa et la « sauve ». Il lui promet, contre beaucoup d’argent, de faire sortir sa sœur. Dès son entrée en « terre promise », le piège s’est donc refermé sur Ewa : Elle ne peut réunir la somme due avec un travail « honnête » : la prostitution l’attend.

La grande intelligence de James Gray ( Little Odessa, Two Lovers ) est de ne pas s’être tenu à un film naturaliste de dénonciation du sort des immigrants – des immigrantes en particulier – au début du siècle. Mais d’avoir fait de The Immigrant un film dont la dimension tragique est due aussi à la complexité des situations et des sentiments. Le romanesque, ici, s’allie au fatum social avec une grande élégance dans la mise en scène. Le cinéaste ne parie pas sur la magnificence de la reconstitution, même si plusieurs scènes sont splendides – le bain en commun des prostituées, les spectacles du café-concert, la séquence finale… –, la lumière mettant en valeur les ocres, les rouges et les gris. Mais ce New York est restreint. Il se réduit aux lieux de vie d’Ewa – le théâtre, la chambre que Weiss a mise à sa disposition… –, ce qui traduit aussi le point de vue de celle-ci : contraint et obstinément tourné vers le but qu’elle s’est fixé.

The Immigrant montre le sentiment d’urgence d’Ewa, qui la pousse, à peine arrivée, à chiper un billet devant revenir à une autre – avant d’être gagnée par la solidarité existante entre les filles de la troupe. Comme il l’entraîne sur les chemins de la prostitution et l’attache à Bruno Weiss – qui n’est pas pour autant un proxénète –, excluant un amour possible avec un autre homme (Jeremy Rener). Pour cela, elle se méprise autant qu’elle hait Weiss de lui venir en aide. Quant à lui, il est tombé amoureux d’Ewa, mais il n’a pas d’autre moyen pour la secourir. Poignant, The Immigrant déploie une puissance lyrique feutrée, où le déchirement intime dû aux contradictions vient confirmer les ambiguïtés du « rêve américain ».

Cinéma
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