Nouvelle Donne pour le Collectif Roosevelt

Économiste fondateur du Collectif Roosevelt, Pierre Larrouturou a lancé le 28 novembre un nouveau mouvement : Nouvelle Donne, dont le premier objectif est les élections européennes. Entretien.

Ingrid Merckx  • 2 décembre 2013
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POLITIS : Vous aviez déjà créé un mouvement sous le nom Nouvelle Donne en 2001. Quel est le nouveau pari ?

Pierre Larrouturou : Nous avions déjà tenté de faire bouger les choses en 2001. Mais après le 21 avril 2002 [marqué par l’arrivée du Front national au second tour de la présidentielle] le choc nous a paru suffisant. François Hollande m’a dit : « Il faut que tu reviennes. » J’ai repris ma carte au PS et Nouvelle Donne s’était techniquement arrêté. Aujourd’hui, ce nom désigne un nouveau mouvement mais avec les mêmes idées que celles que nous défendons depuis vingt ans contre le mythe de la croissance et pour la semaine de quatre jours, notamment avec Dominique Méda.

Illustration - Nouvelle Donne pour le Collectif Roosevelt

Nous avons besoin d’un changement radical. La plupart des partis n’ont pas compris la gravité de la situation : depuis un an, il y a 400 000 chômeurs supplémentaires et 500 000 personnes qui ne sont pas comptées comme chômeurs parce qu’elles sont tombées un cran plus bas, dans la pauvreté. Tous les soirs, on voit dans Paris des gens qui se ruent sur les poubelles. On a atteint un niveau d’injustice monstrueux. Si on comprend la gravité de la crise sociale et de la crise climatique, on se dit qu’on n’a pas vingt ans pour changer le système. J’ai fait partie de ceux qui avaient annoncé la crise en 2008. On est au bord du précipice. Il y a des mesures d’urgences à prendre. La séparation entre les banques de dépôts et les banques d’affaires est devenue vitale. Si une banque fait défaut, on peut avoir un écroulement de l’ensemble de la zone euro, avec des millions de gens dans la rue.

Est-ce la crise du système bancaire qui vous inquiète le plus ?

Pas seulement : la Chine est le pays le plus instable économiquement et socialement et rêve de prendre sa revanche sur le Japon. Il y a déjà 20 % de chômage dans ce pays, la bulle immobilière est en train d’exploser et la réponse des dirigeants chinois consiste à doubler leur budget militaire pour qu’il atteigne quatre fois celui du Japon. Ils préparent une guerre.

En France, nous avons 5 millions de chômeurs, 9 millions de pauvres, des paysans se suicident chaque mois, des gens meurent de froid dans la rue… et une partie de l’opinion se résigne à ce que le FN devienne la première force politique du pays. On l’a vu en 1929 : il y a un moment où un peuple pète les plombs. La France n’a jamais été aussi riche, le problème est d’abord un problème de partage.

Est-ce la révolte qui vous anime ?

L’autre jour, après 1h30 de débat avec 15 députés, je leur ai dit : « Même moi qui suis un bon bourgeois, Bac +8, plutôt calme, j’ai envie de donner des coups de bâton. Par votre inertie, vous préparez une vie de m… à mes enfants.» Oui, il y a de quoi se révolter.
Jean Jaurès disait : « Il faut dire des choses simples, simplement, jusqu’à ce que tout le monde comprenne que ca peut marcher, qu’il n’y a pas de piège, que des solutions existent.» Nouvelle Donne va utiliser tous les moyens possibles (petits livres, vidéos, débats) pour faire passer ces idées simples dans le débat et toucher le plus grand nombre.
Depuis un an, nous sommes allés quinze fois à l’Élysée, et autant à Matignon. Nous étions tous les mardis devant l’Assemblée pendant six semaines… Personne ne nous dit que nous sommes des utopistes. Même le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, en petit comité est d’accord avec nous : compter sur le retour de la croissance est illusoire. Au mieux, on a une perspective à la japonaise avec une croissance de 0,7 % en moyenne. Ils sont tous d’accord, mais rien ne bouge. Alors, nous allons nous adresser directement aux citoyens et nous présenter aux élections européennes.
Parmi nos propositions, certaines peuvent prendre un an, comme négocier un impôt européen sur les dividendes. Mais il y a des mesures qui peuvent être mises en œuvre très rapidement : utiliser les 34 milliards du Fond de Réserve des Retraites pour créer des logements ou décider, par décret, d’un système contre les licenciements, comme au Canada où quand une entreprise a 20 % de gens en trop, elle garde tout le monde, baisse le temps de travail et l’État et l’Unedic maintiennent les revenus à 95 %.

Vous avez été membre du PS et de EELV. Comment se positionne Nouvelle Donne par rapport à ces deux partis ?

Avec Stéphane Hessel, on a quitté le PS en même temps pour rejoindre EELV. On a cru que ce parti allait apporter quelque chose de vraiment nouveau dans le paysage politique. On a tout fait pour renforcer EELV, et puis, on s’est rendu compte que pour ses dirigeants, la priorité c’était de passer des accords avec le PS pour obtenir des places aux législatives. Pour quelques postes de députés et de ministres, ce parti a renoncé à des pratiques démocratiques innovantes et à un discours clair sur les limites de la croissance et l’urgence d’un autre modèle de développement. Avec Stéphane Hessel et d’autres amis, nous avons créé le Collectif Roosevelt, début 2012, parce qu’on voulait que la gauche gagne mais qu’on trouvait que le programme du PS n’était pas à la hauteur. Le succès a dépassé nos attentes : on espérait 3 000 signatures, nous en sommes à 109 000 rien qu’en France et il y a des collectifs Roosevelt en [Belgique >http://is.gd/JwfxbV], en Espagne, au Portugal, en Grèce…

Mais vous êtes retourné au PS…

Oui, avec Stéphane Hessel, nous avons déposé une motion au Congrès de Toulouse en novembre 2012. Le PS étant majoritaire à l’Assemblée, nous voulions tout faire pour essayer de le réveiller. Harlem Désir nous a promis des états généraux de l’emploi et du climat. Trois mois de travail étaient prévus. On n’a même pas eu trois heures de débat ! Ce parti se résigne à gérer l’effondrement de la société.

L’idée d’un nouveau mouvement vient-elle des adhérents du Collectif Roosevelt ?

À chaque débat, des citoyens nous demandaient: « Tout ça c’est bien, mais rien ne bouge. Pourquoi ne pas créer une nouvelle force politique ? » . Il fallait retenter quelque chose. Le Collectif Roosevelt continue son action associative : au lancement des États généraux du pouvoir citoyen il y avait 143 réseaux ! Quant à Nouvelle Donne, c’est une structure distincte qui rassemble des gens qui ne s’étaient jamais engagés, mais aussi des militants qui viennent du Front de gauche, du PS, d’EELV…

Faire de la politique autrement, nombreux s’y sont cassés les dents. Quelle est votre botte secrète ?

Le premier texte que nous avons rédigé, c’est notre charte éthique. Ensuite, la qualité des fondateurs compte : Susan Georges, Jean Gadrey, Patrick Pelloux, Cynthia Fleury, Bruno Gaccio… nous ne faisons pas de la politique pour faire carrière et notre engagement depuis vingt ans parle pour nous. Ensuite, on se donne six mois pour établir des statuts comprenant le non cumul en interne, le respect des minorités… Point important, nous allons tous faire campagne pour défendre nos vingt propositions. Et c’est seulement en avril que tous ceux et celles qui sont impliqués demanderont à tel ou telle d’être candidats pour rendre service et porter nos idées à Bruxelles et Strasbourg. C’est une façon de désigner les candidats radicalement différente de ce qui se fait dans tous les partis. Enfin, tout en voulant changer les règles du jeu au niveau national et européen, nous voulons rester en lien et agir avec ce qui bouge au niveau des territoires.

Quels sont les piliers de Nouvelle Donne ?

Prouver qu’il y a des solutions. Il n’y a aucune fatalité. Montrer qu’on peut en même temps sortir de la crise sociale, de la crise environnementale et de la crise démocratique. Montrer qu’avec les peuples de 8 ou 9 pays, on peut radicalement changer l’Europe… Dans un pays qui se désespère et où montent la violence et la recherche de boucs émissaires, nous voulons montrer qu’on peut rassembler des gens très différents autour de solutions concrètes.
Pour cela, il faut déconstruire le mythe de la croissance. La croissance n’est pas un bon indicateur et ne sera jamais suffisante pour sortir de la crise sociale. Le levier le plus puissant pour créer rapidement un million d’emploi c’est la réduction du temps de travail. Mais avec une méthode radicalement différente des 35 heures : négocier d’abord une mesure bien financée en donnant la parole aux salariés et aux patrons des 400 entreprises déjà passées à la semaine de 4 jours.

Pourquoi les Européennes ?

C’est un moment décisif pour changer de société : les marges de manœuvre se situent au niveau national et européen. EELV en 2009 a fait 16 %. En Italie, Bepe Grillo a fait 25 % cette année, sans accès à la télé. Au printemps, il y aura beaucoup d’abstention, le FN va faire un score élevé, mais nombreux sont les citoyens déçus des partis existants mais qui continuent à croire qu’on peut construire une société de justice sociale, de créativité et de convivialité. C’est le projet de Nouvelle Donne.

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