Ivan Segré : « Spinoza était fidèle à la tradition hébraïque »

Pour Ivan Segré, Spinoza est au cœur d’un débat dont l’enjeu est la définition même du judaïsme.

Denis Sieffert  • 27 mars 2014 abonné·es

Au travers de l’auteur de l’Éthique, Ivan Segré plaide pour la « relance » d’un judaïsme émancipateur, à l’opposé du judaïsme réactionnaire qui domine aujourd’hui l’espace public.

Pourquoi ce livre ? Pourquoi Spinoza ? Et pourquoi maintenant ?

Ivan Segré : C’est un projet commun avec Éric Hazan (directeur des éditions La Fabrique). L’idée, c’est d’aborder la question d’un judaïsme émancipateur, alors que ce qui apparaît aujourd’hui comme dominant c’est un judaïsme qui s’inscrit dans un dispositif réactionnaire. Pourquoi Spinoza ? Parce que Spinoza est un point névralgique, caractérisé comme un traître par un certain nombre d’intellectuels juifs comme Hermann Cohen, Leo Strauss, Emmanuel Levinas ou Benny Levy, qui justifient l’excommunication. Or Spinoza est un philosophe du rationalisme émancipateur. Je me suis posé la question de savoir quelle est la relation entre le rationalisme émancipateur et la tradition hébraïque du Talmud. Ma thèse, c’est qu’il est fidèle à cette tradition et qu’il l’est davantage que ceux qui l’accusent de trahison.

Comment expliquez-vous qu’un intellectuel juif comme Jean-Claude Milner soit, en 2014, aussi véhément contre un philosophe du XVIIe siècle ?

Milner explique que Spinoza aurait pour projet politique de faire disparaître le nom «Juif », ce qu’il appelle la « persécution parfaite » des Juifs, d’où sa véhémence contre Spinoza. Ce que je montre, c’est qu’on ne croit pas une seule seconde à la théorie de Milner sur Spinoza. Donc si Milner est si véhément contre Spinoza, c’est parce que Spinoza est un philosophe qui vit sous la conduite d’un rationalisme émancipateur.

Milner oppose ce qu’il appelle « le nom Juif » au « nom ouvrier ». Comment expliquer cette opposition ?

Le nom « Juif » est devenu pour Milner le référent de ce qui est opposé à l’idée d’une émancipation universelle ou égalitaire. C’est cet antagonisme qu’il va élaborer chez Spinoza. D’où l’importance de déconstruire ce projet idéologique. L’autre enjeu est celui de la refondation. Il s’agit de montrer que non seulement le nom « Juif » n’est pas un obstacle à une émancipation universelle, mais qu’il en est une source d’inspiration. Comme l’a dit Alain Badiou, «   il faut relancer le nom “Juif” du côté de la singularité universelle et de l’émancipation  ». Cette idée de « relancer », c’est le travail auquel j’essaie de me consacrer à partir des textes bibliques et talmudiques.

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