Contre l’austérité, un contre-budget plus vert

À la politique de l’offre prônée par Hollande et Valls, EELV et le Parti de gauche opposent une approche écologique de l’économie susceptible de dégager des marges de manœuvre et de s’engager dans une véritable transition.

Patrick Piro  • 13 novembre 2014 abonné·es
Contre l’austérité, un contre-budget plus vert
© Photo : AFP PHOTO / JEAN-SEBASTIEN EVRARD

La politique économique française, marquée par l’austérité et un soutien au secteur de la production (l’offre), défendue par la plupart des gouvernements européens, serait-elle la seule viable ? « Certainement pas, rétorque l’économiste Jérôme Gleizes à Europe Écologie-Les Verts (EELV). Pour ces dirigeants, la priorité va au desserrement de la contrainte de la dette en limitant le déficit budgétaire. Or la crise mère n’est ni financière ni économique, elle est écologique. L’économie n’est pas bloquée par la dette ou l’inégalité des revenus, mais par un mode de production et de consommation qui ne prend pas en compte la raréfaction des ressources naturelles. »

Le philosophe grec Yannis Stavrakakis pose la question dans un lumineux ouvrage collectif édité par les Éditions Lignes : « Qu’est-ce qui a permis le lent mais constant développement de la “post-démocratie” ? » Autrement dit, le basculement dans cet état que connaît aujourd’hui la Grèce, plus que tout autre pays européen. Il répond que cet insidieux abaissement des valeurs démocratiques a cheminé par le crédit, c’est-à-dire une accumulation de la dette qui a permis un accroissement des inégalités sans que « la démocratisation de la consommation » en soit, dans un premier temps au moins, affectée. Si « la perte des droits politiques et sociaux est passée en grande partie “inaperçue”, c’est, écrit-il, que « les strates inférieures de la société pouvaient encore fonctionner en tant que consommateurs en empruntant de plus en plus ». La finance a pu ainsi « échanger des droits contre du crédit et de la dette ». Une fois la Grèce endettée, le pays a pu être traité « comme un enfant qui mérite d’être puni ». La dette grecque est passée discrètement d’un « bon à un mauvais objet », d’un instrument indispensable à la consommation à la preuve confondante d’une culpabilité collective. Jusqu’à faire admettre l’inadmissible. Le philosophe cite, entre autres mesures, cette « augmentation pharamineuse du fuel » qui a eu pour effet que la plupart des Grecs ont enduré un hiver sans chauffage, et que les forêts proches des villes ont été décimées pour rentrer du bois dans les maisons. Une austérité massive justifiée par une dette imposée à toute la société comme une fatalité.

Le Symptôma grec , collectif, Éd. Lignes, 328 p., 17 euros.

Pour sortir de la crise, les écologistes, comme le Parti de gauche (PG), jugent indispensable d’investir, et lourdement, dans les énergies renouvelables, la mobilité douce et les transports collectifs, les bâtiments sobres, l’agriculture biologique, pour réduire les émissions de CO2 et préserver l’environnement. Mais aussi pour créer des emplois en France, car ces activités sont peu ou pas délocalisables : de l’ordre d’un million de postes, estime la « planification écologique » du PG ou la « transition écologique » d’EELV. « Là où le gouvernement raisonne par le soutien à la production, nous mettons en avant une logique de territoires », explique Jérôme Gleizes. Au lieu de disperser les étapes de fabrication d’un produit, prioriser, par territoire, l’autosuffisance alimentaire et la relocalisation des productions matérielles : la réduction des transports, le recours à des technologies moins complexes et gourmandes en ressources – le « low-tech » –, le renforcement des liens entre producteurs et consommateurs, le développement d’une économie de l’usage (en place de la propriété) accroîtront les capacités de résistance à la crise. Le PG ne pousse pas aussi loin cette logique territoriale, appelant à une renationalisation d’EDF, GDF et Areva pour conduire une politique publique forte dans le domaine de l’énergie, « échappant au contrôle de grands groupes privés nullement portés à la sobriété énergétique et à l’intérêt général », justifie Corinne Morel Darleux, du PG. Le coût de création de ce grand pôle national serait vite compensé par la baisse de la facture énergétique du pays – 70 milliards d’euros d’importation par an.

Car il y a des idées pour trouver, dans les tiroirs prétendument vides, de quoi mener une politique d’investissements écologiques. « Notre-Dame-des-Landes, nucléaire, ligne ferroviaire Lyon-Turin… En abandonnant les grands projets inutiles, en traquant les niches fiscales néfastes à l’environnement et au social, en taxant le grand luxe, en limitant les très hauts salaires, calcule Corinne Morel-Darleux, notre “contre-budget” dégage 30 milliards d’euros par an, pour financer notamment la transition énergétique. » Pascal Canfin, ancien ministre EELV au Développement, dénonce l’inefficacité du cadeau fiscal, sans contrepartie, de 40 milliards d’euros aux entreprises, dans l’espoir de voir créés 300 000 postes. « Ça fait très cher de l’emploi ! Avec treize fois moins, on a suscité 150 000 emplois d’avenir. En écartant les entreprises qui n’ont pas besoin d’un tel coup de pouce, on récupérerait de l’ordre de 20 milliards d’euros pour relancer l’activité dans la transition énergétique, trop peu ambitieuse à ce jour, un argent public qui entraînera les investisseurs privés. Et, contrairement à ce que prétendent nos détracteurs, c’est une réponse par la compétitivité. C’est le cœur de notre divergence avec François Hollande : il ne fait pas de la transition énergétique un levier de la politique économique, pas plus qu’il ne se prononce sur la stratégie d’investissement de l’Union européenne, ni ne défend la taxe Tobin sur les transactions financières… »

Qu’en est-il de l’impact sur la dette, obsession de Bercy, dont le service atteint 50 milliards d’euros par an ? « 40 % de son montant n’est pas lié à des investissements d’intérêt général, cette part doit être déclarée illégitime, d’autant plus que les États n’ont pas droit aux très bas taux de refinancement que la Banque centrale européenne accorde aux banques !, avance Corinne Morel Darleux. Il faut même s’apprêter à désobéir aux traités européens pour protéger des activités clés comme la relocalisation agricole, le développement des énergies vertes, etc. » Moins radical, Jérôme Gleizes propose un surprélèvement sur le patrimoine des plus riches et des banques –  « les cadeaux fiscaux dont elles ont profité représentent 20 % de la dette. Cependant, la dette est secondaire. La priorité va à l’élaboration de politiques cohérentes avec le temps long de l’écologie, totalement incompatibles avec le temps court des retours financiers exigés par les marchés, et nécessitant une intervention supra-étatique pour les coordonner au niveau européen ».

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