« In The Family » : Qu’est-ce que c’est, être un bon père ?

In The Family montre la violence faite à Joey, privé de son fils après la mort de son compagnon.

Ingrid Merckx  • 20 novembre 2014 abonné·es
« In The Family » : Qu’est-ce que c’est, être un bon père ?
© **In The Family** , Patrick Wang, 2 h 49.

Elle est face à la caméra. Dos à la porte d’entrée. Le long de cette porte se trouve un espace vitré qui laisse entrevoir l’extérieur. Joey (le père) tambourine. Eileen (la tante) refuse de lui ouvrir. Il appelle Chip (le fils), 6 ans. De derrière la porte, il lui dit qu’ils vont rentrer tous les deux à la maison. Dans le petit espace vitré, une lumière apparaît. Jaune. Intermittente. Un gyrophare… Joey se tait. On entend d’autres voix. Puis plus rien. Pas de cris, pas d’éclats, pas même d’altercation. Juste un plan fixe sur cette femme et les lignes géométriques qui dessinent l’intérieur de sa maison. Pourtant, cette scène est d’une grande violence. Parce qu’on comprend sans le voir qu’Eileen prive Joey de son fils et qu’elle lui a envoyé la police pour lui signifier qu’elle a le droit pour elle. Le génie de ce film est d’abord là, dans ce que le cinéaste américain Patrick Wang choisit de montrer et de ne pas montrer. De même, le texte ne prononce jamais les mots « homosexualité » ou « mariage gay ». Juste « deux papas ». Dans des plans fixes dont le cadre n’est pas sans évoquer la mise en scène de théâtre, le personnage principal, Joey (magnifiquement interprété par le réalisateur), est souvent filmé de dos, comme pour que le spectateur se concentre davantage sur ce qu’il affronte que sur l’effet que les événements ont sur lui.

Quand le film montre Joey de face , c’est pour plonger dans sa solitude, sa détresse ou ses souvenirs avec Cody, le père biologique de Chip, qui vient de mourir. Ou pour illustrer son face-à-face avec la justice. Lors de la scène chez l’avocat, peut-être la plus dure de In The Family, tous les autres personnages – Eileen, désignée comme la tutrice légale de l’enfant, l’oncle, les deux avocats et la greffière – sont de profil. « Tous vos proches sont morts : comment pensez-vous que Chip puisse être en sécurité avec vous ? », lui jette le défenseur de la partie adverse. Et Joey de répondre qu’il passe un entretien pour un job qu’il pratique depuis six ans, et que, s’il s’interroge sur la façon d’être un bon père, il n’a jamais eu besoin de convaincre qu’il était à la hauteur.

Alors Joey cherche en direct, épaulé subtilement par cet avocat qui lui est tombé du ciel comme un ange gardien, ce que peut signifier être un bon père. On se souvient alors de l’art avec lequel il a convaincu son fils, au début du film, d’aller voir son autre père dans le coma sans lui, l’accès de sa chambre lui restant interdit ; ou comment il l’a incité à se rendre à la fête d’Halloween chez sa grand-mère, là où lui n’était plus convié. Sa réflexion et la justesse de ses propos sont impressionnantes. C’est la même puissance de frappe, mais inverse, que la violence légale, administrative et sociétale qui est faite à chaque instant à cet homme. À l’hôpital, où le personnel ne s’adresse qu’à la famille de Cody, le mettant délibérément à l’écart ; ou chez un avocat qui lui explique en deux minutes que personne ne défendra jamais le droit de garde d’un « parent présumé » ou d’un « parent psychologique ». Le texte est impeccable, le jeu aussi. L’enfant, Chip (Sebastian Brodziak), crève l’écran avec sa bouille et sa gouaille. Mais le plus frappant, dans ce film, c’est la discrète présence de la bande-son : des chants d’oiseaux et une respiration d’enfant dès la première scène, ces grillons qui s’élèvent dans les nuits d’été du Kentucky, le réveil-avion de Chip que Joey récupère pendant l’absence de son fils. La finesse du film réside aussi, et peut-être surtout, dans l’endroit où la caméra décide de se poser. Peu de plans larges, peu de contrechamps, de rares travellings, des angles inattendus… Patrick Wang conduit le regard. Et ce qu’il signifie de l’adoption, de la parentalité hors biologie et de l’« être parent » est plus qu’un plaidoyer : une évidence mariée à une leçon de cinéma.

Cinéma
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