Libération : un avenir difficile

Jean-Claude Renard  • 3 décembre 2014
Partager :
Libération : un avenir difficile
© Photos : Pierre Andrieu/AFP; Kenzo Tribouillard/AFP

On sait quel futur se dessine pour le quotidien de la rue Béranger  : une centaine de départs (sur 238 salariés), un bâtiment historique transformé en Flore du XXIe siècle et un déménagement de la rédaction en proche banlieue. Tout cela n’est pas sans conséquence sur les conditions de travail à venir, ni sur la santé du personnel. Publié sur le site de l’Acrimed, un rapport d’expertise du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), consacré au projet de transformation du journal, en donne les clés. Un rapport concentré sur la rédaction (web et print), la documentation, l’édition, le service photo et la maquette, et dont les conclusions sont parfois édifiantes.

Dans un premier temps, la conduite du projet , tel qu’il est imposé par la direction, est « génératrice de risques psychosociaux » . Et d’en dresser la liste des raisons, entre autres : « Un calendrier très court d’information/consultation »  ; « une définition et une organisation des grands services qui est actuellement en cours de construction »  ; « une image renvoyée aux salariés désastreuse pour l’estime de soi »  ; et « une communication qui ne répond pas aux attentes des salariés » . Le CHSCT pointe encore des « informations contradictoires » , des problèmes de communication et une « vision différente des acteurs de l’entreprise » , l’absence de DRH susceptible d’accompagner les changements, « un traitement inéquitable entre les salariés » (en effet, certains sont reçus par la direction, d’autres pas).

Le tableau ne s’arrête pas ici. Loin de là : toujours selon le rapport, le lien étroit, annoncé par la direction, entre le print et le web, nécessitant des compétences particulières (connectivité permanente, gestion de différents types de contenus, articles, vidéos), risque d’entraîner « une fatigue psychique, physique » . La recherche d’audience maximale, imposant un rythme soutenu d’articles, risque aussi de peser. Tout comme l’impératif de production, « l’incitation à la polyvalence et la pluridisciplinarité » , l’incitation encore « à la connexion en permanence sur les réseaux sociaux » , et le « transfert d’activités des fonctions support (documentation, maquette, photo) sur la rédaction écrivante » . Soit un travail 24h/24 qui ne dit pas son nom.


Illustration - Libération : un avenir difficile


De quoi voir qu’aujourd’hui, « la transformation du journal tend vers une culture de management davantage gestionnaire » , avec « un abandon de la ligne [éditoriale] moins engagée » , moins « de latitude pour [les] choix rédactionnels » , moins de coopération aussi entre les métiers, « alors que le travail journalistique est le fruit de cette construction collective » , et enfin, des règles de fonctionnement plus strictes loin des valeurs des journalistes « attachés à la liberté, l’autonomie, la coopération et la souplesse de fonctionnement » . In fine, « ce choc des cultures » pourrait être « un frein si l’évolution n’est pas partagée et comprise par chacun. Aujourd’hui ces nouvelles règles de fonctionnement sont davantage ressenties comme une sanction » . Comment faire un bon journal dans ces conditions ?

Mais, ponctue le rapport du CHSCT , le plus délicat est maintenant de mettre en œuvre « le reclassement des salariés, l’intégration dans les nouveaux services, la prise de poste pour les nouveaux managers, la mise en œuvre de la nouvelle formule du journal, la mise en place de la rédaction unique web/print et son organisation, ainsi que celle de la photo et la documentation » .

Pour ceux qui restent, les problèmes risquent donc de se corser. C’est un peu ce qu’avait dit Pierre Marcelle, chroniqueur historique de Libé, qui a choisi en novembre de quitter le journal : « Il y a six semaines, on se demandait pourquoi partir. Aujourd’hui, on se demande pourquoi rester. » En attendant, on peut espérer que la direction aura lu le rapport du CHSCT.

Médias
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don