L’Algérie ou l’équivoque gaulliste

Alain Ruscio retrace l’histoire « interminable » de l’OAS.

Denis Sieffert  • 23 avril 2015 abonné·es

C’est Jean-Jacques Susini qui l’a dit : « Le premier créateur de l’OAS », c’est de Gaulle. De la part de cet intellectuel fasciste, il ne s’agissait pas seulement d’une formule. Le sentiment de trahison éprouvé par les ultras de l’Algérie française à l’encontre de l’homme du « 18 Juin » a sans aucun doute été un facteur décisif dans l’apparition de ces trois lettres sur les murs d’Alger, en 1961. Ce n’est pas le moindre intérêt de l’ouvrage d’Alain Ruscio que de restituer l’ambiguïté des relations du Général avec les irréductibles de l’Algérie française. Dans un livre qui nous plonge dans l’univers interlope de cette extrême droite coloniale, on s’attardera ici particulièrement sur la reconstitution très documentée de ce mois de mai 1958 au cours duquel de Gaulle va s’appuyer sur la frange conspirationniste de l’armée. Aurait-il accompagné le coup d’État auquel se préparait Raoul Salan ? L’histoire s’est dénouée sans que le futur fondateur de la Ve République ait eu à répondre à cette question. Mais il n’ignorait rien du projet des conjurés. Lorsque le 9 mai, le général Salan exige dans un télex « un gouvernement décidé à maintenir notre drapeau en Algérie », de Gaulle laisse entendre qu’il est leur homme.

Avec une habileté diabolique, il joue de la menace du coup d’État pour faire pression sur une IVe République à bout de souffle. Il va très loin lorsque, le 27 mai, il annonce qu’il va « prendre contact avec les généraux d’Alger ». L’aurait-il fait ? On ne saura jamais puisque le « coup de bluff » a réussi. C’est ainsi, « un pied dans les institutions et un pied chez les conjurés », selon l’expression de Ruscio, que le Général arrive à ses fins. Il y aura ensuite le discours d’Alger, le 5 juin, avec le fameux « Je vous ai compris », chef-d’œuvre d’ambivalence dans lequel chacun entend ce qu’il veut entendre. Dès octobre, lorsqu’il rend hommage à « la personnalité courageuse de l’Algérie », de Gaulle commence à inquiéter les partisans de l’Algérie française. La suite confirmera leur désillusion et alimentera une haine irrépressible qui ira jusqu’à la tentative d’assassinat.

L’historien fait ensuite le récit de la marche sanglante de cette ultime cohorte de « soldats perdus » de « fascistes » et de « malfrats ». Au-delà de l’éclairage historique, le livre de Ruscio a un double intérêt : il rappelle les conditions d’avènement d’une République qui ne pouvait guère être démocratique ; et il rend compte des résurgences d’une OAS idéologique. Ses nouveaux activistes ne sont plus seulement des nostalgiques. Ils se refont une place dans le paysage. L’histoire de l’Organisation armée secrète est décidément « interminable ».

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