Macarons sous haute surveillance

La prison de Laon a organisé son premier concours de pâtisserie. Au cœur des problématiques de la réinsertion, un pari sucré sur l’avenir.

Jean-Claude Renard  • 19 juin 2015
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Macarons sous haute surveillance
© Photos : Jean-Claude Renard

Un tournant dans la vie. A 29 ans, Mika (1) a décidé de se mettre à la cuisine. « Diplômé , dit-il, j’espère bien travailler dans un restaurant. Dans un second temps, c’est aussi pour m’occuper. » A quarante ans, Alix montre le même entrain. « J’ai appris les bases de mon futur projet. J’ai aussi eu la surprise d’apprendre qu’avec quelques bases, en suivant correctement les recettes, c’est facile de faire la cuisine. Pour moi, c’est tout bénéf ! » Pour Mouss, qui a très tôt quitté l’école, avec ce Certificat de qualification professionnelle en poche (CQP), « on se dit qu’on aura plus de chance de trouver un boulot » . Depuis qu’il a commencé cette formation cuisine, il s’est mis à regarder les émissions culinaires à la télévision. « Avant, ça ne m’intéressait pas. Maintenant, après quelques semaines de cours, on comprend mieux l’élaboration des plats, même si cela va un peu vite à la télé, même si ça n’est pas assez détaillé. »

Pareillement inscrit au CQP, Karim avait déjà travaillé en cuisine , « pas seulement à la plonge », précise-t-il fièrement. « Mais j’ai repris certaines bases, des choses que j’avais un peu oubliées. C’est comme un livre. On oublie l’histoire et, quand on le relit, ça revient. Là, j’avais envie d’approfondir, de valider des acquis par un diplôme. On apprend toujours. Ce qui me plaît dans la cuisine, c’est de faire plaisir aux gens, de varier les plats » .

Mika, Mouss, Alix ou encore Karim , en quête de ce certificat, ont un point commun : après les cours, ils regagnent leur cellule. Tous sont incarcérés au centre pénitencier de Laon (Aisne). Et tous perçoivent ce CQP, reconnu par les branches professionnelles, équivalent au CAP, comme un sésame, un pari sur l’avenir. Au départ, ils étaient 12 détenus à suivre cette formation, d’une durée de quatre mois, mise en place par Sodexo justice, ouverte à toute personne incarcérée, en maison d’arrêt ou au centre de détention (la prison de Laon, de 400 places environ, possède les deux statuts). Naturellement, chaque candidature est étudiée, évaluée en commission. Il convient de mesurer les motivations, les centres d’intérêt. A quelques jours des examens, ils sont encore sept à montrer leur abnégation, faire preuve d’opiniâtreté. Assurés par cinq intervenants, les cours théoriques ont lieu le lundi et le mardi, les cours pratiques les jeudis et vendredis. A raison de 6 à 7 heures par jour. On y apprend aussi bien les termes culinaires, l’hygiène alimentaire, des éléments de biologie que les bases d’une sauce, d’un appareil, la découpe d’un produit, la réalisation d’un menu, avec son entrée, son plat et son dessert, que l’on déguste en fin de journée. La formation comprend également un stage d’entreprise au sein même de la prison, avec l’équipe de cuisine.


Illustration - Macarons sous haute surveillance


En cette fin de printemps, ce mois de juin a une saveur particulière : sous la houlette de Claudine Joube, responsable du service formation (et de l’accueil des familles), en partenariat avec l’Institut national de formation et de recherche sur l’éducation permanente (INFREP), s’est tenu le premier concours de pâtisserie dans la prison, « So’dessert » . Un concours encadré par la prestigieuse maison Lenôtre. Sur les sept élèves-stagiaires, cinq ont relevé le défi. Répartis en deux équipes de deux et trois, eux-mêmes ont choisi l’épreuve : « Un macaron framboise aux éclats de pistache revisité façon mille feuilles. » Rien que ça ! Pour tous, qui découvrent la fiche technique très détaillée sur un plan de travail, c’est une première. « On a choisi le macaron parce que sa composition est assez complexe , souligne Mika, sa présentation est plus attirante et l’on peut jouer sur les contrastes. » Karim, qui se revendique « naturellement gourmand » , reconnaît « qu’on n’a pas misé sur le plus facile, mais on voulait sortir de l’ordinaire. Et avec la pâtisserie, on ne peut pas se permettre de sortir du rang, on est obligé de tout respecter, de suivre les grammages parfaitement » . Sortir du rang (ou pas), respecter, suivre. Même prononcés au débotté (ou à l’emporte-pièce), les mots ont un sens. En cellule, à côté de plats orientaux, de gratins, d’encornets farcis, Karim soigne son bec sucré en réalisant un fraisier, un mille feuilles, ou encore une forêt noire. « Avec les moyens du bord , ajoute-t-il, amusé. On n’a pas droit aux poches à douille, par exemple, ni à la crème liquide, du coup pas de chantilly ! Mais on peut travailler à base de farine, d’œufs, c’est assez pour réaliser une génoise ou une crème pâtissière. J’aime bien tout goûter, et la pâtisserie, même si c’est plus technique, ça attire l’œil tout de suite, ça se partage ! »


Illustration - Macarons sous haute surveillance


Ce 12 juin, dès 8 heures, les tâches se répartissent dans les équipes. Très sérieusement, l’un se charge de réaliser la meringue, l’autre la crème pâtissière, agrémentée d’une gousse de vanille, un autre s’emploie à la garniture, puis au coulis… Au moment du dressage, les candidats ont décidé de surmonter la composition d’un mikado. A 14 heures, les assiettes remontent dans la salle du jury. Un jury composé d’un surveillant de l’administration pénitentiaire, d’une psychologue de la prison, du gérant du mess voisin et de deux responsables de Sodexo (le directeur régional et le directeur du site). Bertrand Lebugle, représentant la maison Lenôtre, qui a suivi geste après geste l’élaboration des macarons, conseillant au plus près les candidats détenus, commente, aiguille. Il s’agit de juger l’harmonie d’ensemble, la mise en scène, le jeu des couleurs complémentaires, de relever l’équilibre technique, la texture et le goût. Le comportement des détenus, pliés à l’exercice, est aussi noté. Chez Lenôtre, on estime d’emblée qu’il y a là, entre les deux assiettes concurrentes, « un dessert de restaurant, un autre de boutique » . L’un est «  plus appétissant à l’œil » , juge-t-on, mais « moins bon en bouche » , l’un est « plus dynamique, contrasté » , l’autre « plus homogène » . Fabienne, qui assure les cours pratiques savoure : « C’est extrêmement gratifiant, et pour eux, et pour nous, quand on observe ce qu’ils sont capables de faire en si peu de temps, en partant de rien ou si peu. Quand on les voit maintenant parler en cuisinier, on se dit qu’on n’a pas fait tout ce travail pour rien. » Elle a exercé vingt ans en restaurant, du côté de Saint-Quentin (le Pot d’Etain, la Villa d’Isle), avant de se tourner vers la formation, au sein de l’INFREP. En prison, le cadre est évidemment particulier. « Dans le rapport humain, c’est très riche, en termes d’émotion, de connaissance de l’autre. Ils sont respectueux, et ce n’est pas toujours ce qu’on observe à l’extérieur… »


Illustration - Macarons sous haute surveillance


In fine, si une assiette semble l’emporter , le jury décidera l’égalité parfaite. Foin de compétition ici. Il ne s’agit pas d’opposer les uns aux autres. Aux détenus d’entrer pour connaître le verdict, à l’exception d’un, retenu au parloir. Tout rappelle qu’on est en prison ; quand même l’humeur est à la détente, à la plaisanterie. Aux candidats sont remis un livre de recettes, une toque et un tablier de cuisine. « Ils nous donnent envie , confie l’un d’eux, large sourire aux lèvres, à propos de ses formateurs, au moment d’un petit cocktail de chocolats. On sent qu’ils sont gentils, à fond dans leur rôle pour nous transmettre la passion de la cuisine. C’est nickel ! » Il faut maintenant regagner les cellules.


Illustration - Macarons sous haute surveillance


De son côté, Claudine Joube peut se montrer satisfaite de ce premier concours organisé entre les murs de la prison. « On a affaire à des personnes. On reste sur la préparation de la sortie, la réinsertion. C’est leur mettre un pied dans l’emploi. Et l’on compte beaucoup de beaux parcours. La finalité, c’est qu’ils retrouvent une vie sociale. Quand ils sortent, on n’a pas envie qu’ils reviennent ici ! » En attendant, en cellule, peut-être ont-ils déjà essayé leur tenue de cuisinier.

1) Les prénoms des détenus ont été changés pour des raisons d’anonymat.

Société
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