La dette, un déni de justice

Enfin publié intégralement, ce rapport est un document unique pour comprendre la crise démocratique européenne.

Thierry Brun  • 9 septembre 2015 abonné·es
La dette, un déni de justice
La Vérité sur la dette grecque, Les Liens qui libèrent, 208 p., 9,90 euros.

L’opaque mécanisme d’accumulation de la dette publique peut fortement entamer la légitimité démocratique d’un État. La mise au pas de la Grèce, avec un troisième mémorandum consenti le 13 juillet, perpétue un rapport de subordination par la dette, rajoutant de l’austérité à l’austérité, jusqu’à faire basculer l’État dans une zone de non-droit. La commission pour la vérité sur la dette grecque dévoile ainsi dans un rapport les nombreuses violations des droits humains fondamentaux commises en application des exigences des créanciers, qui ont conduit la Grèce à une profonde récession économique et à une terrible régression sociale.

Mise en place par le Parlement grec, cette commission, réunissant des membres de tous horizons venant d’une dizaine de pays, s’appuie sur le droit européen et international, enjoignant un État soumis à un programme d’ajustements économiques de réaliser un audit complet de ses finances publiques [^2]. Elle ne s’est pas seulement attachée à analyser l’origine de l’augmentation de la dette publique, elle a examiné la façon dont cette dette a été contractée pendant des décennies, pour conclure que les politiques imposées par la troïka ne permettent pas de la rembourser.

Très médiatisé en Grèce, ce rapport a ouvert un débat démocratique sur la dette publique. La communauté internationale et l’opinion publique mondiale ont pris conscience du fait que l’on a occulté, par dogmatisme économique, les fondements juridiques permettant la répudiation et la suspension de la dette souveraine. Ces droits démocratiques existent pourtant bel et bien et pourraient être appliqués par les États de la zone euro, la plupart ayant une dette publique insoutenable, en grande partie liée au sauvetage des banques et des marchés financiers après la crise de 2008. Mais le déni de ces droits s’observe jusque dans l’attitude de hauts fonctionnaires de l’État grec, pourtant théoriquement au service de l’intérêt général, qui estiment ne pas avoir de comptes à rendre à la commission. Celle-ci, par exemple, n’a pas reçu tous les documents juridiques et officiels qui devaient lui permettre de corroborer ses conclusions et d’analyser tous les aspects de la dette. La Banque de Grèce, par la voix de son directeur, a refusé de transmettre des documents « essentiels pour mener à bien l’audit ».

Le rapport révèle aussi un élément stupéfiant  aucune autorité – grecque ou internationale – n’a cherché à faire la lumière sur les causes et les modalités d’assujettissement de la Grèce aux programmes d’austérité de la troïka. Au nom de la sacro-sainte dette, les gouvernements grecs qui se sont succédé, ainsi que les autorités européennes, ont pu commettre, en toute impunité, des actes illégaux. À quand un tribunal de la dette en Europe ?

[^2]: En France, un audit de la dette publique a été réalisé en 2014 par le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique (CAC).

Idées
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