D’où vient la trahison?

TRIBUNE. Corinne Morel Darleux réplique à Paul Ariès et défend la «fusion technique» décidée par le «Rassemblement citoyen, écologique, solidaire» dont elle est la porte-parole.

Corinne Morel-Darleux  • 9 décembre 2015
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D’où vient la trahison?
© Corinne Morel Darleux est secrétaire nationale au développement international du réseau écosocialiste du Parti de gauche. Photo: Michel Soudais / Politis

**Cher Paul,

Quelle n’est pas ma surprise** de découvrir ton analyse rapide dans Politis sur l’entre-deux tours des régionales. Le 13 octobre dernier, suite à une interpellation amicale de ta part, je t’écrivais au sujet de la stratégie de second tour du Rassemblement (citoyens – PG – Ensemble – EELV – ND – NGS) :
«Sur RA-Auvergne, du côté du Rassemblement nous avons choisi de confier ce débat sensible du second tour à une assemblée représentative, composée d’environ 70 personnes – candidats, personnalités, militants de partis et citoyens non encartés – qui se réunit pour la première fois ce dimanche et va avoir la charge de valider les listes de candidats, prioriser les axes du programme et débattre des hypothèses de second tour. Elle se réunira plusieurs fois, jusqu’au soir du premier tour, et par la suite jouera le rôle de « conseil des sages » auprès des élus du rassemblement. Cela pour répondre à ces réticences que tu exprimes, notamment sur le fait que ces débats ne peuvent plus se dérouler dans les couloirs fermés des appareils de partis. Partis qui sont par ailleurs eux-mêmes traversés par ce débat ! (…) J’ai encore envie de faire confiance à l’intelligence collective… »

Cette intelligence collective, celle des non-experts que tu as si souvent défendue, nous t’avions proposé d’en faire partie. Tu as préféré rester en retrait. Mais nous, nous l’avons menée. Je comprends que tu aies du mal à l’admettre, tant cela est éloigné des pratiques habituelles : «On ne comprend pas grand-chose à leur mode de fonctionnement. Ils passent leur temps à faire des allers-retours entre la salle des négociations et leur assemblée.» Je comprends moins que tu n’en aies cure à ce point. Tu ne la mentionnes d’ailleurs même pas. Surprenant au vu de tes appels répétés ces dernières années en faveur d’une démocratie renouvelée.

Cette assemblée représentative s’est réunie cinq journées de travail , depuis septembre dernier. C’est elle qui a validé les candidats, le programme et la stratégie de second tour. Elle a procédé par débats mouvants, échanges d’arguments, et a finalement pris une position dimanche soir au consentement, après des heures de débats, au vu des résultats. Pas une position binaire, mais des objectifs politiques clairs : chercher les conditions pour que nos électeurs de premier tour soient représentés dans la future assemblée – vu qu’on n’a toujours pas obtenu la proportionnelle intégrale comme tu le sais -, battre Laurent Wauquiez, et préserver le Rassemblement. Le tout assorti de conditions concernant l’indépendance de nos élus.

De 1h du matin à 17h le lendemain, ce sont plus de trente personnes, représentants de cette assemblée réunis dans une salle attenante aux négociations, qui ont suivi pas à pas sans fermer l’œil de la nuit tout ce qui se discutait. Suspensions de séance, allers-retours, décisions collectives : chaque étape a été validée collégialement. Dire que «tout était plié» est une insulte à cette construction démocratique.

Notre clarté politique, Paul, la voici : nous avons refusé le préalable de solidarité de gestion que voulait nous imposer le PS et aucun de nos élus n’ira à l’exécutif. Il n’y aura pas de co-gestion et nous resterons libres de nos votes. Voilà la vraie rupture politique concrète, au-delà des postures. Celle qui consiste à assumer, en responsabilité, les conditions qui nous permettent de ne pas capituler et de ne pas abandonner nos voix, celles des électeurs qui nous ont fait confiance pour qu’on porte nos idées jusqu’au bout. Ces idées, nous avons été seuls à les porter pendant cette campagne des régionales : le bien-vivre, la lutte contre le Lyon-Turin, le non cumul des mandats, le refus de l’austérité et de l’état d’urgence, la gratuité des transports et manuels scolaires… Que n’as-tu été à nos côtés pour les porter ? Ce sont ces idées qui ont déterminé le vote des électeurs et ainsi décidé de notre éligibilité au second tour, c’est à elles et à elles seules qu’ira notre loyauté.

Et puis, Paul, tu nous demandes de négocier des points de programme avec le PS. Où est la logique? Car tu n’es pas sans ignorer que s’engager sur des points de programme revient à un accord de gestion auquel nous nous refusons fermement. Qui est ici le «liquidateur» ? Contrairement à toi, nous ne voulons pas de contrat de mandature. Nous voulons que les électeurs qui ont voté pour nous soient représentés et notre autonomie n’est pas négociable. Contrairement à ce que tu proposes, nous faisons le choix de rétablir ainsi ce que ne permet pas la 5e République et d’avoir des élus militants dans cette assemblée.

Enfin, se pincer le nez de loin est facile. Mais n’oublie pas une chose : Laurent Wauquiez n’est pas juste libéral, il n’est pas juste de droite. Cet homme traite les bénéficiaires de minima sociaux d’assistés, veut installer des portiques de sécurité et des caméras dans les lycées. Cet homme est dangereux. Il faut être bien à l’abri pour s’en laver les mains et penser que sa victoire ne changera rien au sort des plus pauvres et malheureux.

Tu te sens trahi ? Les circassiens dont Wauquiez veut supprimer toutes les formations qui les font vivre, les associations LGBT qui appellent à le battre parce qu’il est un fervent défenseur de la manif pour tous, les travailleurs sociaux qui nous disent que la droite départementale leur supprime leurs subventions et les prive de moyens, les sous-traitants du nucléaire présents sur notre liste anti-nucléaire qui veulent continuer de travailler avec le Rassemblement dès janvier pour interpeler le conseil régional de l’intérieur, cette proviseure de lycée pro à l’abandon qui nous remercie, et tous ces gens qui nous ont demandé de tenir bon pour ne pas laisser la droite extrême gagner la région et ne pas laisser les clés au PS, eux ne se sentent pas trahis, et eux sont solidaires parce que nous partageons les mêmes luttes, les mêmes convictions, et la même envie de ne rien lâcher.

Cher Paul, je me demande d’où vient la trahison en l’espèce. La précipitation du commentaire politique est souvent mauvaise conseillère, et je t’ai connu plus inspiré.

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