Un Iranien dans le siècle

Mojtaba Ghodsi livre une autobiographie qui parcourt cinquante ans d’histoire.

Denis Sieffert  • 9 décembre 2015 abonné·es
Un Iranien dans le siècle
© **La Malédiction du pétrole** , Mojtaba Ghodsi, 397 p., 20 euros.

Voilà un livre dont on ne trouvera guère trace ailleurs que dans nos pages. C’est ce qu’on appelle une auto-édition, et ça se sent. Quelques maladresses et des noms propres écorchés trahissent la modestie des moyens. Et, pour couronner le tout, son auteur, Mojtaba Ghodsi, est un parfait inconnu. Malgré cela, le lecteur, s’il sait passer outre, trouvera un intérêt dans ce récit qui mêle le destin d’un homme et la grande histoire. Toute la vie de Mojtaba Ghodsi a été déterminée par les soubresauts de son pays, l’Iran. Ce qu’il appelle « la malédiction du pétrole ». Fils d’un sympathisant du nationaliste Mohammad Mossadegh, il est encore gamin lorsque celui-ci, en 1953, est chassé du pouvoir par un coup d’État ourdi par la CIA et la Grande-Bretagne pour avoir voulu nationaliser la British Petroleum. Un événement qui, écrit-il, « porta un coup fatal » à son existence et le plongea dans « la tristesse et la rage ». Commence alors le règne d’un État policier incarné par la terrible police politique du Shah, la Savak. Les rues ont des oreilles, et une banale conversation politique avec un camarade de classe peut causer les pires ennuis. Bachelier, le jeune Ghodsi part pour Téhéran.

C’est le début d’une longue errance. Petits boulots puis départ en Allemagne via la Turquie. Études à Munich et à Berlin. Le jeune homme se mêle aux étudiants iraniens en exil, opposants au Shah. C’est le temps des manifestations contre la guerre du Vietnam. Il rencontre une jeune Française qu’il finit par épouser. Long séjour en France puis retour au pays. Comme beaucoup de ses compatriotes, il croit dans la révolution de 1979, et dans le premier président de la République islamique, Bani Sadr, démocrate sincère, d’abord soutenu par Khomeiny puis destitué. S’ensuit une période de terreur. Les pasdarans, les « gardiens de la révolution », traquent tous ceux qui ont affiché une quelconque sympathie pour Bani Sadr. Dans cet Iran interlope où les voyous et les opportunistes prospèrent derrière un discours rigoriste, Ghodsi croise des personnages étranges, comme ce « Monsieur X », mécréant et buveur d’alcool mais investi de responsabilités par la hiérarchie religieuse, et qui viendra finalement l’encourager à fuir précipitamment le pays. Ce que Ghodsi fera pour rejoindre son épouse en France. Il faudrait raconter bien d’autres épisodes, comme l’affaire de la prise d’otages de l’ambassade des États-Unis en 1979, où l’on aperçoit le trouble jeu d’Henry Kissinger, pas pressé que les otages soient libérés avant la victoire annoncée de Ronald Reagan à l’élection américaine. Au terme de cette longue errance, Ghodsi découvre une autre réalité. Une France devenue bien peu accueillante pour les immigrés, où on lui conseille de changer de prénom s’il veut avoir une chance de trouver un emploi. RMI, foyer Sonacotra, déclassement de l’ingénieur agronome contraint d’accepter n’importe quel boulot. Et, malgré tout, une conclusion pleine d’espoir.

Idées
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