PS / Mobilisations : Le grand fossé

Face à une contestation multiforme qui s’enracine, les dirigeants socialistes, désemparés, se préoccupent de leur domination sur la gauche.

Michel Soudais  • 13 avril 2016 abonné·es
PS / Mobilisations : Le grand fossé
© CITIZENSIDE/Thomas Helard/AFP

Le contraste est saisissant. Pourtant, il n’a guère été relevé. Samedi 9 avril, alors que des centaines de milliers de manifestants battaient le pavé dans près de deux cents villes de France, parfois sous la pluie, contre le projet de loi travail, le Parti socialiste réunissait son conseil national dans une salle en sous-sol de l’Assemblée nationale. À huis clos. Dans la soirée, des milliers de jeunes et de moins jeunes « nuitdeboutistes » débattaient sur les places d’une soixantaine de villes à la vue et au su de tous, quand les « socialistes », comme ils s’appellent encore, se réchauffaient dans un strict entre-soi. Certes, ce repli n’est pas nouveau. Le dernier conseil national ouvert à la presse remonte au 13 avril 2013. Ce jour-là, les dirigeants du PS craignaient de voir leur réunion perturbée par la Manif pour tous, mais ce sont les ouvriers de PSA-Aulnay qui avaient réussi à envahir l’estrade du centre des congrès de la Cité des sciences, provoquant l’exfiltration du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Le huis clos rétabli après cette irruption du réel n’a cessé depuis d’être renforcé.

Symbole dans le symbole, alors que « le parlement du PS » avait à son ordre du jour une présentation de la loi égalité citoyenneté censée répondre aux revendications de la jeunesse, une délégation du MJS conduite par son président, Benjamin Lucas, a été refoulée à l’entrée. Une première dans l’histoire du parti. Très remontés contre le projet de loi El Khomri, dont ils réclament le retrait, les jeunes socialistes sont considérés par Manuel Valls comme « des petits cons ». Jamais le fossé entre les caciques de la rue de Solférino et leurs électeurs, qu’ils soient de premier ou de second tour, n’a paru aussi béant.

Face à la contestation qui s’enracine, conteste la légitimité des pouvoirs établis, s’en prend (parfois violemment) aux symboles de la finance et de l’ordre (banques, commissariats), ou tambourine nuitamment sous les fenêtres du domicile de Manuel Valls, les dirigeants socialistes semblent désemparés. Tantôt ils minimisent l’hostilité du mouvement. « Nuit debout, c’est un peu le Woodstock de la parole », estimait lundi un ministre cité par Le Parisien. «C’est plus Hyde Park que la Puerta del Sol dans le moment présent», avait déclaré auparavant Jean-Christophe Cambadélis, qui a confondu la place de la République, où il est passé incognito le 3 avril, avec le « Speaker’s corner » du parc londonien. Si ce n’est que ça, pourquoi donc envoyer les CRS déloger les occupants de la place ?

Tantôt, ils se rassurent en interprétant la moindre mobilisation des manifestants, samedi, comme le signe d’un essoufflement du mouvement contre la loi travail. Sans imaginer, comme nous l’ont confié plusieurs manifestants, que beaucoup de « gens pensent que marcher dans la rue ne suffit plus » et que leur colère sourde est plus ravageuse encore. Tantôt, ils tentent d’acheter la paix sociale en lâchant quelques mesures à destination des jeunes, comme l’a fait lundi Manuel Valls en accordant un coup de pouce aux boursiers, une aide d’attente au premier emploi, une hausse de la rémunération des apprentis et en créant une garantie locative pour les moins de 30 ans. Tantôt, enfin, ils se persuadent que cela n’est qu’un mauvais moment à passer, que comme dans la chanson de Brel, ces jeunes peigne-culs deviendront des notaires repus. « Aujourd’hui, on est dans la contestation, nous serons ensuite dans la constatation et les Français verront les différents projets proposés », assurait samedi sur i-Télé le patron du PS, convaincu que, face à la droite et à l’extrême droite, le peuple de gauche sera bien contraint de revoter pour son parti.

De fait, dans leur huis clos, les délégués au conseil national du PS étaient surtout préoccupés de s’entendre sur les règles d’une primaire qui assure à leur candidat, François Hollande ou son remplaçant, de s’imposer. Et leur permette de maintenir leur hégémonie sur l’ensemble des formations de la gauche (voir ci-contre).

Quatre jours plus tôt, 266 députés socialistes appuyés par 22 de leurs collègues LR et 6 ex-EELV avaient adopté une proposition de loi modifiant notamment les règles de collecte des 500 signatures nécessaires pour être candidat à l’élection présidentielle et le temps de parole des candidats dans les médias – la période d’égalité stricte passe de cinq semaines aux deux semaines précédant le scrutin et est remplacée par une vague « équité ». Ces modifications « aggraveront de façon inouïe la logique oligarchique de la Ve République », avertit Jean-Luc Mélenchon, évoquant des « manœuvres bureaucratiques » visant à « éliminer ceux qui dérangent ». « Alors que la crise démocratique s’aggrave, ce coup de force ne peut qu’alimenter la défiance », pointe EELV dans un communiqué qui dénonce « un verrouillage en règle du système par la loi du plus fort et une atteinte au pluralisme démocratique pour un temps de la vie politique très suivi par les Français ».

Entre ceux qui rêvent de changer le monde et ceux qui ne songent qu’à conserver le pouvoir pour le gérer, la confrontation est engagée.

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