Le double prêche du pape François

Les éloges pleuvent, à gauche notamment, pour louer l’audace du pape François. Une béatification abusive, dénonce Paul Ariès.

Patrick Piro  • 1 juin 2016 abonné·es
Le double prêche du pape François
© GABRIEL BOUYS/AFP

Certes, il pourfend le consumérisme débridé, la domination de la technologie, le rouleau compresseur de la mondialisation. Et avec son encyclique Laudato si’ (mai 2015) prônant une écologie intégrale, le pape François a réussi « un sacré coup médiatique », relève Paul Ariès. « Greenwashing ! », flingue le politologue, orchestré par une Église catholique en perte de vitesse qui cherche à se refaire une santé.

Diable ! Alors que le nouveau pape, à gauche notamment, étonne la planète par son rentre-dedans… Au point que des observateurs jouent à se faire peur : François serait-il marxiste ?

Paul Ariès aime penser à rebours de son sérail. Et il est d’autant plus à l’aise qu’on ne l’étiquettera pas bouffeur de curés. Athée mais fan de la théologie de la libération, il collabore de longue date avec des éditeurs catholiques, dont le progressiste Golias.

Amis de gauche et de l’écologie, vous biberonnerez la prose papale au premier degré !, signifie le politologue. « Ce n’est pas parce que l’évêque de Rome utilise les mêmes mots [que vous] qu’il dit la même chose. »

Dans son pamphlet très documenté, Ariès joue au « vaticanologue » : la nomination de François n’est pas une divine surprise, mais la traduction d’une intention politique en défense d’une doctrine qu’écorne à peine ce renouveau sémantique qui n’a de révolutionnaire que l’apparence : « C’est le pêché, la perte de Dieu », l’éloignement de la « loi naturelle » (définie par l’Église) qui conduit, en dernière instance, à la destruction de la planète, affirme le pape. Le message de fond : combattons l’IVG, la procréation médicalement assistée (aussi condamnable que les OGM !) et la contraception plutôt que le productivisme ou le capitalisme, traduit le politologue. Sous l’irréfutable appel à sauver la planète, une contre-offensive identitaire.

On pourra lui opposer qu’un raidissement dogmatique de l’Église serait de moindre impact que l’utile onction donnée à la bataille écologique auprès des catholiques. Sauf que parmi ces derniers, ce sont les plus réactionnaires, dans la foulée des Manif pour tous, qui ont saisi la férule, relève le politologue. Limite, « revue d’écologie intégrale » née trois mois après Laudato si’, lance un « décroissez et multipliez-vous ! » fort explicite.

Et l’auteur s’efforce à puiser plus loin l’eau de son moulin. Il explore le passé argentin de Jorge Mario Bergoglio et les réseaux qu’il n’a pas reniés en devenant pape, bien fournis en « légions » ultraconservatrices telles que l’Opus Dei. Dans cette « nouvelle » Église, pas de révision de la science « chrétienne » anti-rationnelle ni d’une doctrine sociale braquée contre la lutte des classes. Pour Paul Ariès, ce François opportunément adulé ne serait finalement que l’instrument bien peu autonome d’une Curie romaine absolument pas encline à changer de siècle.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

« Anatomie d’un parcours d’ultradroite » : les racines de la radicalisation
Entretien 17 septembre 2025 abonné·es

« Anatomie d’un parcours d’ultradroite » : les racines de la radicalisation

Maître de conférences au CNAM et chercheur en science politique, Elyamine Settoul publie une recherche inédite sur le groupuscule d’ultradroite OAS, à travers la figure et l’itinéraire de son leader. Entretien.
Par Pauline Migevant
Sepideh Farsi : «  Il était important pour Fatma Hassona d’apparaître digne »
Entretien 17 septembre 2025 abonné·es

Sepideh Farsi : «  Il était important pour Fatma Hassona d’apparaître digne »

À Cannes, Put Your Soul on Your Hand and Walk était porté par sa réalisatrice, mais pas par la jeune Gazaouie qui en est le cœur, reportrice photographe assassinée quelques semaines plus tôt. Nous avons rencontré la cinéaste pour parler de la disparue, de son film et de l’Iran, son pays natal.
Par Christophe Kantcheff
« Rendre sa dignité à chaque invisible »
Entretien 11 septembre 2025 abonné·es

« Rendre sa dignité à chaque invisible »

Deux démarches similaires : retracer le parcours d’un aïeul broyé par l’histoire au XXe siècle, en se plongeant dans les archives. Sabrina Abda voulait savoir comment son grand-père et ses deux oncles sont morts à Guelma en 1945 ; Charles Duquesnoy entendait restituer le terrible périple de son arrière-grand-père, juif polonais naturalisé français, déporté à Auschwitz, qui a survécu. Entretien croisé.
Par Olivier Doubre
La révolution sera culturelle ou ne sera pas
Idées 10 septembre 2025 abonné·es

La révolution sera culturelle ou ne sera pas

Dans un essai dessiné, Blanche Sabbah analyse la progression des idées réactionnaires dans les médias. Loin de souscrire à la thèse de la fatalité, l’autrice invite la gauche à réinvestir le champ des idées.
Par Salomé Dionisi