Les anti-nucléaires alertent l’opinion publique depuis la centrale de Flamanville

Quelques mois avant les présidentielles, les militants écologistes mettent la pression. Des milliers de personnes se sont rassemblées ce week-end pour demander l’arrêt du nucléaire et dénoncer la dangerosité du réacteur pressurisé européen (EPR) en construction sur le site de Flamanville.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 3 octobre 2016 abonné·es
Les anti-nucléaires alertent l’opinion publique depuis la centrale de Flamanville
© Photos : Chloé DUBOIS

Samedi 1er octobre, peu après six heures du matin, une cinquantaine de personnes se retrouvent dans les rues de Paris. Le rendez-vous est matinal, mais le sourire sur toutes les lèvres. Dans une trentaine de minutes, les militants prendront la route en direction de Siouville, commune située entre l’usine de retraitement de déchets nucléaires de la Hague et la centrale de Flamanville, en Normandie. C’est là-bas qu’a lieu le grand rassemblement des anti-nucléaires, venus protester contre la construction de l’EPR, un réacteur nouvelle génération.

Comme des milliers d’autres, débarqués de France, d’Allemagne ou d’Angleterre, ces « écolos inquiets » exigent « l’arrêt du nucléaire » et dénoncent « le rafistolage des réacteurs ». Quelques jours après les nouvelles annonces concernant l’état des centrales nucléaires françaises, les colères s’exacerbent. 

Du côté de la centrale de Flamanville, l’alerte est donnée dès 2015 par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Des « anomalies sérieuses » ont été constatées sur la cuve du réacteur en construction, dit de « troisième génération ». Pourtant, jamais la fabrication des composants n’a été interrompue. La cuve a même été placée sur le site. Mais un an plus tard, de nouvelles tensions se dessinent.

Dans un rapport rendu public jeudi 29 septembre, le cabinet Large and Associates révèle qu’au moins 32 réacteurs, dans 14 centrales françaises, seraient concernés par des défauts de fabrication, affectant notamment les cuves. L’EPR de Flamanville serait de ceux-là.

Commandée par Greenpeace, cette étude dirigée par John Large affirme par ailleurs que des « irrégularités » ont été constatées sur près de 400 pièces produites par le site de Creusot Forge depuis 1965, dont une cinquantaine serait en service dans le parc nucléaire français. De quoi raviver les ressentiments et l’incompréhension des anti-nucléaires qui ne cessent d’alerter l’opinion publique sur les risques de plus en plus prégnants d’une catastrophe, rappelant l’impuissance des forces humaines face à des cataclysmes tels que Tchernobyl ou Fukushima.

Président du Comité de réflexion, d’information et de lutte anti-nucléaire (Crilan) et porte-parole du Collectif anti-nucléaire ouest, Didier Anger pointe de nouveau la responsabilité en cas d’accident de « ceux qui auront tout fait pour la mise en service de l’EPR », réitérant ses préoccupations en cas d’attentat.

Le devoir d’informer les populations

Marc Denis, membre du Groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN), s’alarme : « La situation est très préoccupante. » Sans détour, il insiste sur « la gravité de ces révélations » qui prouvent « un déficit de maîtrise et de contrôle » évident au sein de la chaîne de production. Le docteur en sciences physiques ne croit pas au rafistolage et prédit « d’autres informations à venir concernant ce types d’anomalies ».

Pour y remédier, celui-ci mise sur le débat démocratique. « Nous ne pouvons plus nous permettre de subir des décisions prises en catimini, lance le chercheur. La situation est trop sérieuse pour être gérée dans le secret ». Réclamant l’accès public à l’ensemble des travaux effectués par l’ASN, Marc Denis rappelle l’importance d’une véritable transparence pour que des expertises indépendantes puissent être menées. « Il est question de santé publique, et tout cela doit se savoir ».

Dès 2006, une étude avait démontré que si la somme initiale avait été consacrée aux économies d’énergie et aux énergies renouvelables, il aurait été possible de répondre deux fois mieux aux besoins, réduire les émissions de gaz à effet de serre et créer plus de 10 000 emplois pérennes, détaille le communiqué de presse de Sortir du nucléaire

Mais pour le réseau Sortir du nucléaire, regroupant 919 associations, le chantier de l’EPR est tout simplement qualifié de véritable « fiasco ». Deux ouvriers sont décédés sur le site, des infractions ont été révélées par l’ASN – travail dissimulé de travailleurs étrangers et non déclaration d’accidents du travail -, et le chantier commencé en 2007 a vu ses coûts de construction passer de 3,3 milliards d’euros à 10,5 milliards d’euros. Une somme s’apparentant à un « gaspillage » et à de « l’argent foutu en l’air » pour les manifestants, partisans d’une transition énergétique alternative :

Si EDF, le maître d’œuvre du chantier, affirme que l’EPR devrait être opérationnel fin 2018, avec six ans de retard, Areva, le constructeur de la cuve, doit avant tout certifier la résistance des pièces mises en causes depuis 2015. Et le pari n’est pas encore gagné.

Membre du collectif anti-nucléaire South west against nuclear en Angleterre, Nicky Clark est d’ailleurs très intéressée par ce que pense la population française de l’EPR à Flamanville, et plus largement d’EDF. « En Angleterre, EDF est propriétaire de tous les réacteurs, explique l’activiste. Venir ici, c’est aussi lutter contre le monopole que cette entreprise exerce. »

Étant donné le coût des deux EPR, le projet de construction est devenu très impopulaire. Bien que la contestation contre le nucléaire ait toujours été très contrôlée par les médias et le gouvernent, seul ce dernier continue de soutenir le projet.

Au sein de son association, la militante affirme avoir déjà participé au blocage du site de la centrale de Hinkley Point, où le projet de construction de deux réacteurs vient d’être validé, suite à l’aval de Theresa May, la première ministre britannique. Si « _la plupart des citoyens anglais ne s’intéressent pas aux dangers du nucléaire », la militante décrit des discours « propagandistes » qui fonctionnent de moins en moins bien :

« Industrie nucléaire, industrie mortifère »{: class= »ui-droppable » }

En début d’après-midi, une large foule se dessine. Prête au départ, celle-ci doit parcourir près de trois kilomètres pour arriver sur le site de la centrale nucléaire de Flamanville, en longeant la côte. Sous la grêle, le lancement de la manifestation est donné. Entre 3 000 et 5 000 personnes, selon les organisateurs, entament leur marche de protestation. Les slogans de solidarité, encourageant notamment la résistance de Bure, où un projet d’enfouissement des déchets nucléaire a provoqué une occupation du bois Lejuc{: target= »blank » }, rejoignent les cartons « STOP nucléaire », distribués dans le cortège et brandis à chaque signal.

Ce premier jour de rassemblement, les discussions sont, pour la plupart, centrées autour des ces « anomalies ». Militant à Greenpeace, un manifestant s’insurge de la légèreté avec laquelle ce projet est géré. « On joue avec notre santé tout en se prétendant champion de la qualité, dénonce l’activiste. Mais il n’est pas trop tard pour tard pour renoncer à cette folie, puisque l’EPR n’a pas été mis en route. Les matériaux sur lesquels ont été constatés des anomalies peuvent rester des déchets industriels. Chose préférable aux déchets nucléaires que l’on ne sait pas traiter. »

Appelant à une prise de conscience collective, le militant rappelle la proximité des centrales nucléaires française avec ses voisins européens. « L’Angleterre est en face, l’Allemagne à quelques mètres de la centrale de Fessenheim [dont la fermeture se fait toujours attendre, NDLR] _Il est évident que ce genre de rassemblement est, doit être, international ».

Après un stop au port de Diélette, où une prise de parole et une pièce de théâtre ont rappelé les grandes lignes du projet de construction et dénoncé la dangerosité d’un tel chantier, les manifestants se sont dirigés vers le site de la centrale. Défiant les recommandations du « service d’ordre », les contestataires ont tenu à s’approcher au plus près du site, gardé par des dizaines de gendarmes mobiles appuyés par un hélicoptère et autres CRS en faction sur le haut de la falaise surplombant la centrale.

Indignés, les opposants à l’EPR ont simplement clamé leurs revendications et affiché leurs banderoles à même le grillage, entonnant quelques chants et danses devant les forces de l’ordre, prêtes à charger au moindre débordement.

Finalement, les manifestants reviennent quelques heures plus tard à Siouville, où des concerts et rassemblements festifs sont organisés. Partout, jusque dans les paroles des chansons, le lien est fait avec la lutte des anti-nucléaires. Satisfaits du nombre de personnes qui ont défilé, les citoyens présents s’interrogent pourtant… Pourquoi la résistance au nucléaire, immense enjeu de santé publique, ne mobilise pas davantage ? Présentée comme « l’oubliée perpétuelle », la sureté de ce nouveau réacteur est évidemment évoquée.

En début de journée, Sylvie Sauvage, membre de l’association Stop EPR, ni à Penly, ni ailleurs, soulignait d’ailleurs le fait « qu’aucun EPR ne fonctionne à travers le monde à ce jour ». De fait, la théorie d’un réacteur moderne permettant de garantir la sécurité des populations demeure, d’après eux, une hypothèse, ébranlée par les révélations qui entachent la légitimité du projet depuis plus d’un an.

Écologie
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