De l’arabité à l’islamité

Yves Aubin de La Messuzière nous propose une remarquable analyse des révolutions arabes.

Denis Sieffert  • 21 décembre 2016 abonné·es
De l’arabité à l’islamité
© FRED DUFOUR/AFP

Qu’est-ce que l’arabité ? À quel moment a-t-elle été supplantée par l’islamité ? Quelle différence entre islam politique et radicalité islamique ? Yves Aubin de La Messuzière, à la fois homme de savoirs et de terrain, répond à ces questions et à bien d’autres. Son livre n’est pas fait pour les polémistes, mais pour tous ceux qui veulent sincèrement comprendre les convulsions qui secouent le Moyen-Orient. Ce diplomate, qui fut en poste dans plusieurs capitales où se joue aujourd’hui l’histoire, remonte au temps de la Nahda, cette renaissance culturelle et politique du XIXe siècle, quand « le facteur religieux n’apparaissait pas comme facteur dominant d’unification des sociétés arabes ». Il analyse ce « sentiment de déclin et de marginalité » provoqué d’abord par la colonisation puis par « la perpétuation de la domination occidentale », dont la guerre d’Irak, en 2003, fut une manifestation aux lourdes conséquences. Il revient sur ce tournant de la défaite arabe de juin 1967, face à Israël, qui a sonné le glas du rêve d’une nation arabe. Quelques années plus tard, l’islamisme prenait le relais du nationalisme. Sous la forme d’un « islamo-conservatisme » qui sera mis en échec, notamment en Égypte, puis d’un « islamisme radical » qui essaime dans de nombreux pays.

Il faut lire évidemment les pages qu’Aubin de La Messuzière consacre à la révolution syrienne. Il y démonte le processus de confessionnalisation et de militarisation engagé dès le début par le régime de Damas, notamment par la libération de milliers de jihadistes. Il nous fait entrer dans le premier cercle du pouvoir, quand Bachar, évoquant avec admiration le massacre commis par son père, en 1982 à Hama, se promet de réprimer la rébellion dans le sang pour s’assurer lui aussi « trente années de tranquillité ». Il déplore la sous-estimation occidentale « de la redoutable capacité de manipulation du régime ». Un régime qui a « privilégié dans les premiers temps [du soulèvement] des cibles d’organisations non islamistes ».

La lueur d’espoir qui perce dans les ténèbres de l’actualité vient sans aucun doute de cette « singularité tunisienne » qu’Aubin de La Messuzière connaît bien, et de ce texte constitutionnel qui résulte d’un compromis « entre deux conceptions de l’État, l’une islamo-conservatrice […], l’autre séculariste ». En fin de compte, nous dit-il, la Constitution tunisienne a introduit « plusieurs principes sans équivalent dans le monde arabe », dont cette « nature civile » de l’État. Un compromis entre les tenants de la charia et ceux de la laïcité n’est donc pas impossible. Enfin, l’auteur nous dit pourquoi, en dépit des méandres de l’actualité, le conflit israélo-palestinien garde sa centralité. Sa force symbolique ne permettra pas cette sorte d’obsolescence espérée par Israël et les capitales occidentales. En diplomate, Aubin rappelle la France à ses devoirs.

Monde arabe, le grand chambardement, Plon, 228 p., 12 euros.

Idées
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