Le business des investitures En marche !

Les candidats investis par la formation d’Emmanuel Macron se divisent en deux catégories : ceux qui sont embauchés à la manière de salariés dans une entreprise et ceux qui le sont sur de bons vieux critères politiciens.

Nadia Sweeny  • 12 mai 2017
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Le business des investitures En marche !
© photo : Eric FEFERBERG / POOL / AFP

Il n’y a pas de hasard dans le choix des candidats aux législatives. Ni dans les noms, ni dans la stratégie. François Bayrou ne s’y est pas trompé : piquant une colère en découvrant que parmi les 428 investis rendus publique, seuls 60 sont issus du MoDem. Pourtant, en vertu de l’accord passé, un quart des investitures devaient revenir au MoDem, soit environ 140 circonscriptions, puisque celui-ci prétend avoir ramené à Macron un quart de ses points au premier tour.

Tout était calé, jusqu’à ce que, le secrétaire général d’En marche !, Richard Ferrand, lance : « Le conseil d’administration a décidé qu’il n’y avait pas d’accord [avec le MoDem, NDLR]_, nous présentons notre liste. »_ François Bayrou s’énerve, appelle Macron qui lui aurait dit « Mes troupes ont fait n’importe quoi… », assurant qu’un accord était encore possible. Facile. « Il y a une incroyable absence de professionnalisme et de loyauté », s’emporte François Bayrou dans la presse. Le MoDem évoque une « opération de recyclage du PS ». Chez En marche ! on renvoie le MoDem vers ses difficultés à trouver des candidats recevables. Car chez En marche !, on ne badine pas avec le recrutement.

En marche ! recrute ses futurs salar… députés

Les 428 candidats, investis jeudi 11 mai par La République en marche, LRM – dont les initiales forment une association assez cocasse –, ont été passés au crible d’une stratégie managériale bien ficelée. D’abord, il y a eu une première phase de tri des 19 000 candidatures selon cinq premiers critères : « Renouvellement, parité réelle, probité [casier judiciaire vierge]_, pluralisme politique et cohérence. »_ Seuls les adhérents pouvaient se proposer.

Il fallait ensuite envoyer un CV et une lettre de motivation. Puis, s’ensuivait un entretien, téléphonique ou de visu. Chaque candidat – pour ceux qui ne sont pas connus – a été interrogé sur son passé, sa capacité d’implication, ses connaissances du fonctionnement des institutions, ses forces, ses faiblesses, etc. : un véritable processus d’embauche. Sur les candidats reçus en entretien, 20 % ont été recalés parce qu’ils n’avaient « pas la capacité à être député », a déclaré Jean-Paul Delevoye, président de la commission nationale d’investiture, à la conférence de presse. La « société civile » vantée par Macron a été triée sur le volet à la manière des ressources humaines d’une grande entreprise. Le but : garder l’ascendant sur les 52 % que représentent ces novices candidats, et possiblement élus, sous l’étiquette LRM, comme un patron gère une « masse salariale ». Samedi, un séminaire – d’entreprise ? – est organisé au musée du Quai Branly pour former ces nouveaux.

Tambouilles partisanes, nouvelle recette

Parmi eux, quelques profils sont issus de l’administration socialiste, comme Aurélien Taché, dans le Val-d’Oise, ex-conseiller ministériel d’Emmanuelle Cosse, délégué régional Île-de-France du groupe SOS, ou encore Gaspard Gantzer, haut fonctionnaire – sortant de la même promotion de l’ENA qu’Emmanuel Macron – et chef du pôle communication du président François Hollande.

Un moyen de transition en douceur avec l’autre partie des candidats, ceux issus du volet « politique ». Celui qui honnissait les tambouilles partisanes construit sa propre recette. Après qu’une partie du PS a été aspirée – une vingtaine de députés sortants et moult « recalés » –, Emmanuel Macron cherche à recruter des ténors du parti Les Républicains (LR). 148 postes sont encore vacants et l’ « annonce d’emploi » passe symboliquement par l’absence de candidats investis face à ceux qui sont clairement convoités ou qu’il faut ménager dans le but d’un éventuel rapprochement. On trouve ainsi Bruno Le Maire, Thierry Solère, Benoist Apparu, Gilles Boyer, Marine Brenier – remplaçante de Christian Estrosi –, la candidate LR-UDI soutenue par Édouard Philippe – cité comme possible Premier ministre – ou encore Julien Dive, le successeur de Xavier Bertrand. Ce dernier a d’ailleurs officiellement refusé les propositions de la garde rapprochée d’Emmanuel Macron, pendant l’entre deux tours : « Je ne suis pas à la recherche d’un poste », a-t-il déclaré.

D’autre part, Emmanuel Macron n’a, pour le moment investi personne face aux socialistes qui lui ont apporté un soutien plus ou moins discret : Stéphane Le Foll, Marisol Touraine, Jean-Marie Le Guen ou encore Myriam El Khomri . « On réfléchit encore », justifiait François Patriat, membre de la commission d’investiture.

On a visiblement moins réfléchi pour investir un opposant au secrétaire d’État Thierry Braillard dans le Rhône et ce, malgré son soutien à Emmanuel Macron bien avant le premier tour de la présidentielle. Un soutien qui ne pèse pas grand-chose face à une querelle avec Gérard Collomb, maire de Lyon et proche d’Emmanuel Macron. Business is business.

Politique
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