Mais lâchez nous les neurones !

Dans la série data-guerre et futures entreprises-d’endo-colonisation-de-l’humain façon GAFAMs, des projets très « science-fiction » comme le « cerveau-souris » ou la « peau-interface », et d’autres, aux allures plus anodines, mais tout aussi inquiétants. Comme la vie « diminuée » à la mode Facebook. Leur objectif restant le même : forer et extraire les données au plus profond des corps, pour capter a minima nos intentions et nos émotions, si possible nos pensées et nos rêves les plus secrets, et nous injecter leurs ersatz de désirs et de compulsions préfabriqués.

Christine Tréguier  • 4 mai 2017
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Mais lâchez nous les neurones !

J’en ai déjà parlé dans de précédentes chroniques, Mark Zuckerberg, le gentil guru (le GG) de Facebook (FB) et ses GAFAmis nourrissent de grands projets pour « les gens », et plus largement pour l’humanité toute entière. Leur rêve : aspirer datas, corps et âmes dans les nuages (les clouds) du GAFAMonde, et fabriquer un univers merveilleux où, par exemple, on « cliquerait du cerveau » pour taper des dizaines, voire des centaines de mots/minute par la seule puissance de son activité cérébrale. Donc sans clavier mais avec neuro-implants ! Un monde où les handicapés, et nous tous, murmurerions le réel à même la peau de l’autre grâce à la révolutionnaire innovation du « langage » FB. Trop cooooool !!!

En gros le message global est : Ayez confiance… nous (ndlr les GAFAMs et consorts) allons vous emmener, sinon dans le « meilleur des mondes », au moins dans un monde meilleur où nous améliorerons votre vie, augmenterons vos bio-corps, bio-organes et bio-cerveaux, si insuffisants et inadaptés au monde transhumain qui vient. Nous vous offrons« la vie en GAFAM », et plus si affinités !

Il peut ne s’agir que de fantasmes, technologiquement impossibles, du moins à court terme. Mais ces projets indiquent la très inquiétante direction prise par des les GIAs (gentils aspirants-maîtres-du-monde) dignes des pires visions cyberpunks{: name= »sdfootnote1anc » target= »blank » }. Au delà de la romance à deux balles qu’ils sussurent, main sur le coeur, le message sous-jacent et le projet semblent assez évidents, pour qui veut bien regarder la lune et pas le doigt. Qu’il s’agisse du nouveau « contrat social » signé FB, des projets d’implants neuronaux et de cerveaux augmentés (voir « Non, Facebook ne veut pas espionner toutes nos pensées » ), des environnements et futures communautés VR attrapes-data (voir « Bienvenue dans le GAFAMonde virtuel » ), ou d’un réel « augmenté » par les GAFAMs et autres opérateurs de réseau et de services à seule fin de générer de la plus-value, l’humain n’y sera guère plus que produit d’appel, porte-marque, filon à datas, territoire vivant à exploiter et coloniser ad-libitum et tranches de cerveaux à (re-)programmer pour faire ce qu’on lui enjoindra de faire : consommer, jouer, être « heureux » et se taire.

Exemple les superzapplis de réalité diminuée… pardon augmentée (RA) mijotées par FB dans la lignée de Pokémon Go (voir « La folie Pokémon GO a commencé »). Pour accéder à leurs produits, services et offres promotionnelles « personnalisés », les gentils utilisateurs (les GU) devront activer la caméra (de leur smartphone, tablette ou console), ce coeur de « nouvelle plate-forme grand public de la réalité augmentée », comme l’a si bien expliqué le GG Zuckerberg lors de la conférence annuelle F8 du 18 avril. Donc non seulement se géolocaliser en permanence (ce que vous faites peut-être déjà, c’est tellement pratique…), mais filmer eux-mêmes tout ce qu’ils voient, entendent et font. En gros, ils offrir à FB leur vie en direct live. Comme ça, sur un plateau ! Une fois de plus, c’est top coooool, non ?

Bien sûr ça pose questions. Du genre « oui mais, pourquoi faire ? », « au fait comment ça marche ? » et surtout « que vont bien faire les GAs des datas, images, sons, etc amassés ? ». Concernant la première question, l’argument de vente livré benoîtement par le GG Zuckerberg lors du F8 est tellement gros et ridicule qu’on en reste bouche bée : il s’agirait de « faciliter le partage, partant du principe que les [GUs] partageront plus facilement des moments de leur vie s’ils ont la possibilité d’y adjoindre des animations amusantes ». Pour sûr ! Et puis ce serait pour afficher des infos dans le réel (flécher le parcours des GU), et aussi « des œuvres d’art impossibles à réaliser », sans oublier vendre-vendre-vendre tout ce qui est vendable, avec pourcentage à l’intermédiaire ça va de soi. Concernant la seconde interrogation, la réponse répercutée par Le Monde , qui semble, folie électorale oblige, ne pas avoir eu le temps de bien entendre et de bien voir : « Ces petites animations nécessitent pour fonctionner d’outils d’intelligence artificielle pointus […] nécessaires pour comprendre les images filmées par les caméras des téléphones, analyser la profondeur de champ, animer des objets…». Et le rédacteur d’ajouter que ces technologies serviront aussi pour des jeux vidéo, des »zapplis » « plus complexes encore […] mais pas tout de suite » et qu’il faudra donc …« s’armer de patience».

Bon, passons maintenant à la question 3. Les GUs tourneront en ce qu’en cinéma on appelle « caméra subjective ». De gentilles IAs (intelligences artificielles ou GIAs) – aussi nommées algorithmes – passeront au crible en quasi temps réel leurs images, leurs sons et l’intégralité de leur vie si ils leur en laissent la possibilité. Elles extirperont les infos/datas exploitables de suite pour vendre-vendre-vendre, le reste étant du packaging et de l’attrappe-GUs. Dans la foulée tout ça sera expédié dans les nuages (les Clouds) où d’autres GIAs auront le temps de fouiller tranquillement et d’extraire tout ce qui peut servir… aux intérêts des GAFAMs et de leurs GAFAmis. Imaginez l’aubaine ! Affiner, en forant jusqu’aux tréfonds du corps, des sens et des neurones, les profils de 2 à, à terme, 5,6 ou 7 milliards d’humains. Lesquels profils seront vendus par les GAFAMs and Co à leurs copains les marketeurs et les publicitaires, aux marques etc… et pourront, sur demande dûment motivée, être réquisitionnée par les « services ». La réponse fait un peu froid dans le dos, non ?

Il va sans dire que FB n’est bien évidemment pas seul sur ce créneau du Big Brother, ou plutôt du Panopticon puissance 10 d’après demain. On y trouve, outre son concurrent Snapchat, les GAFAMs au grand complet, mais aussi les multinationales des industries du jeu et du loisir, les fabricants de smartphones et autres consoles, les opérateurs comme Orange, Bouygues, sans doute bientôt les assurances, les banques, l’agroalimentaire etc… bref tous les gentils GAset tous les autres GGs de la planète, style Elon Musk ou Bill Gates pour ne citer qu’eux. Tous frémissent et frétillent devant ce fromage sans précédent qu’ils voient déjà dans leur bec : enfin du vrai Big data, du 100% bio-data de surcroit, et des milliards de dollars en vue pour relancer l’économie plus très florissante de la société des technologies de l’information et de la communication (TIC) 2.0. D’autant que côté protection des données personnelles des GUs, les lanceurs d’alerte habituels sont fatigués ou atteints de presbytie temporaire, les autorités de protection (les CNILs et assimilés) ferment les yeux et jouent du glissement sémantique agile de concert avec les lobbies des gentils aspirant-maîtres-du-monde (GIAs) dans les couloirs de la Commission et du Parlement européens. Histoire d’arrondir le moindre angle susceptible de perturber les sacro-saintes dames « croissance » et « innovation ».

Disons, pour conclure provisoirement, que voici venir l’ère 3.0 annoncée des technologies, des réseaux et de la société des TICs. Le GAFAMonde et la vie 3.0 qui se profilent avec eux n’ont absolument rien d’éthique, de sexy ou de désirable. Ils sont juste effrayants, insensés et totalement inacceptables. Et c’est à nous, humainEs, de savoir refuser d’être leurs GUs (gentils utilisateurs), de barrer la route à ce (très) mauvais scénario dystopique et de revendiquer que la société 3.0 soit celle où le progrès a pour mission de vraiment améliorer la vie des êtres vivants.

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