8 exemples de ce que la loi travail 2 va permettre

Un boucher qui baisse les salaires, un 13e mois raboté sans l’accord des salariés… Petit voyage (à peine) imaginaire dans un futur proche, pour cerner les enjeux des ordonnances Macron.

Erwan Manac'h  • 6 septembre 2017 abonné·es
8 exemples de ce que la loi travail 2 va permettre
© Photo : Roos Koole / ANP MAG / ANP

Chez le boucher du coin…

Un boucher convoque ses trois employés pour leur proposer de baisser leur salaire et d’annualiser leur temps de travail, car il l’estime « nécessaire ». Si deux employés l’acceptent, l’accord est appliqué. Le troisième ne peut pas refuser la modification de son contrat de travail, sous peine d’être licencié sans possibilité de recours.

Explication Plus besoin de justification économique pour négocier une modification du contrat de travail (temps de travail, salaires, mobilité). « Les nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise », suffisent pour ces accords, autrefois appelés « offensifs » ou « de compétitivité ».

Dans les entreprises de moins de 11 salariés, et celles de moins de 20 qui n’ont pas de délégué du personnel, « l’employeur peut proposer un projet d’accord aux salariés, qui porte sur l’ensemble des thèmes ouverts à la négociation collective » (article 8 de la 1ère ordonnance). Pour le valider, il faut un vote à la majorité des deux tiers. Il devra également être validé par un « observatoire départemental paritaire », dirigé par les services de l’État. Ainsi, « une boucherie pourra négocier sur autant de sujets qu’une entreprise du CAC 40, alors que 70 % des sujets de négociations étaient jusqu’à aujourd’hui ouverts aux très petites entreprises », précisait l’entourage de la ministre du Travail au moment de la présentation des ordonnances.

Le refus, par un salarié, d’un accord de ce type vaut licenciement « sui generis », c’est-à-dire fondé sur une cause réelle et sérieuse sans passer par la case tribunal (article 3 de la 1ère ordonnance relatif au renforcement de la négociation collective).

La prime aux accords d’entreprise

Une entreprise vient de se créer et cherche à s’installer sur un marché déjà ancien. Par accord d’entreprise, pour gagner sa bataille commerciale, le patron parvient à négocier avec ses salariés une dérogation à la convention collective du secteur. Ils acceptent de baisser fortement les primes d’ancienneté, de vacances, de départ à la retraite et pour le travail de nuit ainsi que le remboursement des frais de transport, les congés pour enfants malades et l’allègement du temps de travail des femmes enceintes. Ces économies permettent à l’entreprise de casser ses prix et de gagner des parts de marché.

Explication Les primes ne font pas partie des 11 thèmes sur lesquelles les conventions collectives de branche restent prioritaires. Elles sont donc négociables à l’échelle de l’entreprise. Un accord prévoyant des dispositions moins favorables aux salariés peut se substituer à la convention collective, c’est la fameuse « inversion de la hiérarchie des normes ».

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Plus de pouvoir pour les délégués du personnel

Dans un journal indépendant comptant une trentaine de salariés, rayonnant, mais néanmoins modeste, le directeur et les deux délégués du personnel décident de signer un accord supprimant le 13e mois pour tous les employés. Sans consulter leurs collègues.

Explication Dans les entreprises de plus de 11 salariés et de moins de 50 où il n’y a pas de délégué syndical, l’employeur négocie des accords d’entreprise directement avec les élus. Pas besoin de référendum d’entreprise lorsque les élus signataires ont recueilli plus de 50 % des suffrages aux dernières élections.

De nouvelles règles pour les CDD

Une branche professionnelle négocie une convention collective autorisant les entreprises du secteur à signer des CDD de deux ans, renouvelable quatre fois sans délai de carence.

Explication Le CDD, comme l’intérim, sont désormais des domaines sur lesquels les accords de branche (conventions collectives) priment sur la loi. Les partenaires sociaux définissent donc la durée, le nombre de renouvellements et les délais de carence. Ce n’est qu’à défaut d’accord de branche que s’appliquent les dispositions légales actuelles.

Le prix des licenciements fixé

Suite à une prise de bec, le patron d’un centre de R&D licencie une salariée sans raison valable et en omettant de la convoquer à un entretien préalable à licenciement. Pour cette ingénieure de 55 ans, payée 5 000 euros bruts par mois, il sait qu’en cas de condamnation en justice, les dommages et intérêts seront compris entre 15 000 et 50 000 euros [1].

Après avoir d’abord invoqué une « insuffisance professionnelle », réalisant que son ex-employée percevait toutes ses primes d’objectif, il décide de modifier le motif de licenciement, pour faire valoir une « désorganisation de service » en raison du départ de sa salariée en congé maladie.

Explication Avec le plafonnement des indemnités aux prud’hommes, l’employeur sait à l’avance ce que lui coûtera un licenciement illégal, c’est-à-dire sans cause tangible, sauf dans les cas de discrimination, harcèlement ou atteinte à une liberté fondamentale. « Cela met un coût sur l’acte de licencier », applaudit ainsi Jean-Philippe Hubsch, dirigeant du groupe Assurances-Conseils (25 salariés), interrogé mardi 5 septembre par les Échos.

Les « vices de procédures », comme l’absence d’entretien préalable, ou un défaut de forme dans la rédaction de la lettre de licenciement, n’entraînent plus la nullité de la procédure. Les prud’hommes accordent simplement un mois d’indemnités supplémentaire au salarié. L’employeur gagne également la possibilité de modifier les motifs de licenciement a posteriori et le salarié n’a plus qu’un an (et plus deux dans le cas de licenciement pour raisons personnelles) pour déposer un recours devant la justice prud’homale.

Périmètre national pour licenciements économiques

La filiale française d’une multinationale très rentable déclenche un plan de licenciement économique, car elle éprouve des difficultés sur le marché français et souhaite délocaliser sa production.

Explication Les difficultés économiques seront désormais appréciées par le juge dans le seul périmètre national d’une multinationale. Il devra néanmoins apprécier si un montage financier n’a pas rendu artificiellement déficitaire la filiale française. Les moyens de faire sombrer une filiale sont néanmoins nombreux et échappent pour souvent à l’appréciation des services de l’État et du juge, s’inquiètent les syndicats de salariés.

Moins de réunions et de salariés protégés

Dans une entreprise de 60 employés, la fusion des instances représentatives du personnel libère du temps et de l’énergie pour le chef d’entreprise. Le temps passé en réunion pour évoquer les problèmes des salariés diminue, comme le nombre de salariés mandatés, et donc protégés contre les licenciements. Le nombre d’expertises extérieures est aussi en chute libre, par exemple lorsqu’un salarié tombe en burn-out.

Explication La fusion des instances représentatives du personnel entraînera une baisse du temps dévolu au dialogue entre patrons et salariés et du nombre de représentants dans l’entreprise. Des décrets fixeront leur quantité exacte. La loi diminue déjà les heures minimales de délégation pour les élus, passant d’une fourchette de 18 à 21 heures par élu dans l’actuelle délégation unique du personnel à 10 ou 16 heures.

Les élus ne pourront pas être réélus après trois mandats, soit douze ans maximum. « Nous allons avoir toujours les mêmes interlocuteurs qu’il sera plus facile de former à l’économie, la sécurité… », se réjouit ainsi dans Les Échos le président du groupe de biscuiterie Galapagos, Christian Tacquard.

Un « ticket modérateur » est créé pour les expertises (sauf en cas de plan social ou de risque grave, ainsi que pour la consultation annuelle sur la situation économique) ; 20 % des honoraires des experts seront acquittés par les représentants des salariés sur les frais de fonctionnement du futur CSE. L’employeur pourra contester l’expertise et le choix de l’expert.

Négociations non obligatoires

Une entreprise décide, par accord collectif, de supprimer les négociations annuelles obligatoires (NAO), imposées par l’État, où sont débattues les questions de rémunérations et d’organisation du temps de travail.


Explication Les accords d’entreprise peuvent négocier sur « le calendrier, la périodicité, les thèmes et les modalités de négociations » obligatoires. Les NAO ne sont donc obligatoires qu’en l’absence d’accord d’entreprise fixant ses propres règles (article 7 de la 1ère ordonnance).

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[1] Calcul tiré de la note d’analyse de la CGT.

Pour aller plus loin…