Le climat, « grand absent » du Ceta selon des experts français

Le traité de libre-échange, qui doit entrer en application provisoire le 21 septembre, « devrait être légèrement défavorable » au climat, estiment les experts nommés en juillet par le gouvernement français.

Erwan Manac'h  et  AFP  • 8 septembre 2017
Partager :
Le climat, « grand absent » du Ceta selon des experts français
© Photo : Cole Burston / AFP

Le grand absent […] est le climat ». Le traité de libre-échange Union européenne-Canada, le Ceta, soulève les inquiétudes, feutrées, mais sans ambiguïté, des neuf experts nommés par Édouard Philippe pour évaluer les impacts de cet accord sur l’environnement :

Les chapitres de l’accord concernant l’environnement ont le mérite d’exister, mais ils ne contiennent aucun engagement contraignant […] On peut regretter sur ce point le manque d’ambition de l’accord.

Sur le fond, cet avis ne fait que confirmer les alertes répétées de toutes les ONG. Le Ceta, accord de libre-échange dit de « nouvelle génération », vise à mettre à bas les barrières « non tarifaires » au commerce. Outre les droits de douane déjà réduits à leur portion congrue, le texte fait « converger » les réglementations, notamment environnementales, considérées comme autant de freins au commerce.

Des organes de « coopération réglementaire » ouverts aux lobbies plancheront sur la simplification des normes et des tribunaux extrajudiciaires composés d’experts (des avocats d’affaires en particulier) permettront aux multinationales de poursuivre les États s’ils adoptent des réglementations qui menacent leurs intérêts, les fameux « tribunaux arbitraux ». Le traité, calibré pour les multinationales et l’industrie canadienne des hydrocarbures, fait donc passer les impératifs sociaux et environnementaux au second plan.

À lire aussi >> Accord Canada-UE : une victoire des multinationales

Sur la forme en revanche, cette sortie est une bonne surprise. Car la commission d’experts nommée par Emmanuel Macron début juillet est dominée par des défenseurs du libre-échange. Son but officieux était surtout de temporiser avant l’entrée en application « provisoire » de l’accord, face à une gronde de plus en plus audible dans l’opinion.

Impact « légèrement défavorable » sur le climat

S’ils gardent la bienséance de rappeler « qu’il ne s’agit pas de risques introduits par l’accord », leur doigt appuie sur les zones les plus sensibles du futur accord de libre-échange : faute de mention explicite du principe de précaution et avec la capacité du Canada de contester toute nouvelle norme, le Ceta introduit une « incertitude » sur « la capacité des États à réglementer dans le domaine de l’environnement et de la santé […] préservée par principe », écrivent-ils selon l’AFP, qui a eu accès au texte avant sa publication, ce vendredi midi.

L’impact sur le climat « devrait être légèrement défavorable », écrivent encore les experts, en particulier parce que le transport maritime « reste très en retard pour développer une stratégie crédible » de réduction des émissions.

À lire aussi >> Le texte du Ceta décrypté article par article

Au niveau agricole, les experts insistent sur l’absence de garanties concernant les farines animales, les antibiotiques comme activateurs de croissance, l’étiquetage des produits contenant les OGM – le Canada vient de commercialiser un saumon transgénique, sans que l’étiquetage ne permette au consommateur d’en être informé – et les niveaux de pesticides autorisés. Ils rappellent ainsi que « le Canada autorise encore 46 substances actives qui ont été interdites depuis longtemps dans les autres pays » et que « les limites maximales de résidus de pesticides autorisées dans les produits alimentaires sont beaucoup moins exigeantes au Canada ».

Entrée en application provisoire

Officiellement, ces experts devaient évaluer l’impact du Ceta sur le climat et faire des recommandations. Ce qui ne manque pas d’ironie, car le gigantesque accord (2 300 pages), négocié dans le secret depuis 2009, qui engage les 28 pays de l’Union et le Canada, n’est de fait plus négociable. Face à l’important mouvement de protestation qui avait précédé sa signature, durant l’été 2016, pas une virgule du texte n’avait été modifiée. Seule une pluie de notes interprétatives avait été déployée pour tenter de calmer les inquiétudes.

En guise de préconisation, les experts recommandent « d’être totalement transparent sur le fonctionnement du futur Forum de coopération réglementaire, avec une représentation équilibrée de la société civile (entreprises, collectivités, ONG) ». Comment y croire alors que les négociations secrètes sur le texte n’étaient accessibles aux députés européens que dans des conditions extrêmement strictes de confidentialité ?

Le Ceta a été signé le 30 octobre sur fond de blocage par le parlement régional de Wallonie, et ratifié par le Parlement européen le 15 février. Il doit désormais l’être également par les parlements nationaux (et régionaux dans certains États). L’application provisoire de 90 % du texte (sans les tribunaux arbitraux) est néanmoins prévue dès le 21 septembre. La Belgique vient de saisir la Cour européenne de justice.

Dans un communiqué publié ce vendredi, Yannick Jadot, eurodéputé écologiste demande la suspension de la mise en œuvre provisoire de l’accord.

À lire aussi >> Tous les articles de Politis sur le Ceta

Économie
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Zucman light : « Bolloré ou Arnault pourraient très bien être exonérés de cet impôt »
Entretien 30 octobre 2025

Zucman light : « Bolloré ou Arnault pourraient très bien être exonérés de cet impôt »

Maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux et coresponsable du département d’économie de l’Institut La Boétie, Éric Berr pointe la nécessité de la taxe Zucman et les limites de la version allégée par le Parti socialiste.
Par Lucas Sarafian
Taxe Zucman : le périlleux calcul des socialistes
Budget 30 octobre 2025 abonné·es

Taxe Zucman : le périlleux calcul des socialistes

Jouant la carte de la responsabilité, le PS rêve de faire adopter une mesure alternative à la taxe Zucman. Au risque de s’isoler du reste de la gauche et de perdre le rapport de force face au gouvernement.
Par Lucas Sarafian
Budget : « Le PS est en train de commettre une faute politique très grave »
Entretien 22 octobre 2025 abonné·es

Budget : « Le PS est en train de commettre une faute politique très grave »

Depuis lundi matin en commission, Claire Lejeune, députée insoumise de la septième circonscription de l’Essonne débat du volet recettes du projet de loi de finances 2026. Sans réussir à obtenir d’avancées majeures, alors que les débats en séance commencent vendredi.
Par Pierre Jequier-Zalc
À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur
Reportage 15 octobre 2025 abonné·es

À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur

Plusieurs centaines de personnes ont manifesté le 14 octobre contre le traité de libre-échange UE-Mercosur, à Paris, à l’appel du syndicat. Un texte qui exercerait une concurrence déloyale pour les agriculteurs français et menacerait la santé et le climat.
Par Vanina Delmas