« Une société civile corse vivante et ouverte »

André Paccou analyse la situation démocratique dans l’île, trois ans après l’arrêt des actions clandestines.

Olivier Doubre  • 6 décembre 2017 abonné·es
« Une société civile corse vivante et ouverte »
© photo : Gilles Simeoni et son parti, Inseme per a Corsica, dénoncent le 20 juillet 2010 la privatisation de l’île de Cavallo, au large de BonifacionSTEPHAN AGOSTINI/AFP

Militant historique de la défense des droits de l’homme en Corse, André Paccou présente ici les problèmes les plus aigus auxquels doit faire face la société civile, mais aussi les récents acquis obtenus, notamment la question de la paix, qui semble bien installée depuis la fin des actions armées annoncée par le FLNC en 2014.

La paix est-elle bien ancrée aujourd’hui en Corse ?

André Paccou : Si l’on en juge par le fait qu’il n’y a plus d’attentats ni d’activités clandestines dans l’île, on peut dire en effet que, du côté des organisations jadis impliquées dans la clandestinité, et qui ont annoncé son arrêt il y a un peu plus de trois ans, quelque chose de nouveau a émergé. En revanche, si l’on tient compte des réponses apportées par l’État, on peut nourrir quelques inquiétudes. D’abord, parce que l’on a toujours affaire à un activisme antiterroriste susceptible de remettre en cause à tout moment cette tranquillité publique. Nous aurons d’ailleurs, dans quelques mois, des procès pour des attentats commis avant l’annonce par le FLNC de l’arrêt de ses activités.

Nous sommes également confrontés au problème du Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait), créé par la loi sur le renseignement de 2015, dans le contexte des attentats jihadistes, et qui touche des militants nationalistes. Pour le dire rapidement, ce fichier implique des personnes qui ont purgé leur peine mais qui sont systématiquement contraintes de prendre contact avec la police : celle-ci vérifie tous les trois mois leur lieu de résidence.

Enfin, l’État a usé de moyens disproportionnés vis-à-vis de certains jeunes : mineurs incarcérés en détention provisoire, placements de plusieurs dizaines de jeunes en garde à vue, alors qu’ils n’avaient jamais eu affaire à la justice jusqu’alors.

L’État continue donc de considérer la société corse comme potentiellement dangereuse. Cependant, ce que nous voulons retenir, c’est que l’absence de toute action clandestine et d’attentats en Corse depuis plus de trois ans est de nature à ouvrir une véritable possibilité de développement démocratique.

Quels ont été les échos en Corse de la crise catalane, qui se poursuit encore aujourd’hui ?

Je pense qu’il existe un prisme complètement déformant qui, en dehors de la Corse, voudrait rapprocher la crise catalane de la situation sur l’île. Le fait que les nationalistes d’ici se sentent solidaires du mouvement indépendantiste catalan est on ne peut plus normal, mais la situation de la Catalogne et celle de la Corse sont vraiment très différentes : elles ont chacune leur histoire et leur projet, elles sont confrontées à des États distincts, et les rapports sociaux y sont également différents.

Comment se porte aujourd’hui la société civile corse ?

Il faut souligner combien cette société civile est vivante, active, capable de se mobiliser, comme cela a été le cas il y a quelques jours en soutien aux conflits sociaux dans les hôpitaux de Bastia et d’Ajaccio. C’est aussi le cas lorsqu’elle monte au créneau sur les questions de défense de l’environnement. Tout cela montre que la société civile corse peut agir de manière forte sur des sujets qui la concernent au premier chef, et qu’elle pèse véritablement dans le débat.

La Ligue des droits de l’homme, qui œuvre à contribuer au développement économique et social de l’île, affirme qu’on ne saurait considérer la société corse, à l’heure de la mondialisation, comme fermée ou repliée sur elle-même. On doit également réfléchir à sa place au sein de la République, mais aussi de l’Europe, sans oublier sa place dans le monde, en particulier au cœur de l’espace méditerranéen. Il s’agit d’une société ouverte, qui se construit sur une communauté de destins, comprenant des Corses de lignage et des Corses venus d’ailleurs mais installés durablement. Cela implique d’ailleurs un débat sur la citoyenneté de résidence, laquelle a fortement progressé ces derniers temps.

C’est aussi une réponse par rapport à certaines tensions dans la société, notamment xénophobes, qu’a connues la Corse ces dernières années…

Ce sont des tensions liées à des peurs et à des situations de grande pauvreté. Avec, en outre, une instrumentalisation idéologique de la part d’organisations d’extrême droite qui déroulent un discours relevant de l’ethnicisme et non pas d’une approche civique. Or, cette approche civique ne peut se construire que sur le concept de communauté de destins.

J’ajoute que la Corse a été écartée de manière scandaleuse, par le dernier gouvernement, de l’accueil des migrants, alors que nous savons que cette société est tout à fait capable d’accueillir des réfugiés.

Enfin, la Corse doit affirmer sa singularité à travers le développement de sa langue et une économie de production, et en rompant avec le modèle du « tout-tourisme » et de l’économie résidentielle, aujourd’hui en pleine expansion, ce qui produit du seul profit et non de la solidarité.

Ce débat est posé à travers la question de la protection de l’environnement, celle du droit de vote pour tous et de l’accueil des migrants, mais aussi via le droit à la santé et au logement, qui est catastrophique en Corse.

André Paccou Cofondateur et porte-parole de la Ligue des droits de l’homme en Corse.

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