Ceux qui ont du mal à marcher avec Collomb

La politique d’immigration du gouvernement suscite des tensions au sein même du parti d’Emmanuel Macron.

Michel Soudais  • 7 février 2018 abonné·es
Ceux qui ont du mal à marcher avec Collomb
Photo : La députée macronienne Sonia Krimi a très vivement critiqué la politique migratoire du gouvernement.
© afp/PATRICK KOVARIK

Le durcissement de la politique migratoire fait grincer quelques dents parmi les députés de La République en marche (LREM). « Ce n’était pas dans le contrat », expliquent en substance ces élus à mesure qu’ils découvrent les dispositions du futur projet de loi asile et immigration, présenté mi-février au Conseil des ministres et discuté en avril à ­l’Assemblée. Certains rappellent les propos tenus par Emmanuel Macron dans un entretien au Soir, en avril 2016. À rebours des orientations de Manuel Valls, celui qui était encore son ministre de l’Économie y félicitait Angela Merkel pour son « geste, sur le plan moral et politique », et regrettait que « les réfugiés [aillent] moins en France », car « ce sont des gens avec une force de caractère exceptionnelle ». « Des héros », les qualifiait-il même.

Combien sont-ils ? Difficile à dire tant il semble à beaucoup encore inconcevable d’exprimer publiquement un point de vue critique. Treize députés macroniens [1] s’y sont toutefois risqués, non sans précautions oratoires, dans une tribune publiée dans Le Monde (2 février). Ils déplorent que, « depuis une dizaine d’années, le ministère de l’Intérieur [se soit] taillé un rôle quasi exclusif sur les compétences migratoires […] avec les conséquences observables aujourd’hui ». Et invitent à « appréhender les questions migratoires de façon plus large » que sur le seul taux des reconduites à la frontière.

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Les divergences d’approche sont spectaculairement apparues le 19 décembre lors d’une banale séance de questions d’actualité au gouvernement. D’ordinaire, les députés de la majorité y débitent sur un ton monocorde de pseudo-­questions, la plupart du temps télé­guidées, pour permettre aux ministres de dérouler leurs argumentaires. Mais d’emblée, ce jour-là, les mots et le ton musclé de la députée macronienne Sonia Krimi, 35 ans, sonnent rudement aux oreilles de Gérard Collomb : « Tous les étrangers de France ne sont pas des terroristes. Tous les étrangers de France ne sont pas des indélicats fraudeurs aux aides sociales. Dire le contraire, c’est jouer avec les peurs, c’est jouer avec les mots ! » L’élue de la Manche évoque avec émotion les « situations difficiles » faites aux « demandeurs d’asile », « les mineurs isolés trop souvent abandonnés ». Jusqu’au constat, qui lui vaut d’être applaudie sur quelques bancs de La République en marche, mais aussi par ses collègues communistes et insoumis : « Les centres de rétention deviennent des centres de détention, et sont indignes de notre République ! »

Les primo-députés ne sont pas les seuls à renâcler devant le virage sécuritaire de l’exécutif. À 58 ans, Joël Giraud est un rescapé de « l’ancien monde ». Réélu pour un quatrième mandat avec la double investiture PRG et LREM, il est rapporteur général du budget. Cela ne l’a nullement empêché d’appeler rudement Emmanuel Macron et Gérard Collomb à « assouplir le texte » et à s’inspirer du « pragmatisme allemand », dans un entretien à L’Obs (20 décembre). Ce député de la circonscription de Briançon, dans les Hautes-Alpes (voir notre reportage ici), constate _« les dégâts tous les jours à la frontière italienne » d’un « manque de dialogue entre l’État, la justice et les associations ». « Les migrants sont considérés comme des invisibles qui ne doivent pas exister. Et ça, ça n’est pas possible », s’agace-t-il, « assez révolté sur le plan humanitaire ». Très critique sur l’accumulation des lois sur l’immigration – « On légifère comme des bœufs » –, il conteste le « distinguo migrants économiques-migrants fuyant les pays en guerre » et plaide pour « un examen au cas par cas » qui permette d’accueillir ceux qui « ont envie tout simplement de participer à l’élaboration de la société française ». Si le futur texte consiste « simplement » à porter la durée de rétention de 45 à 90 jours, annonce-t-il, « j’irai plutôt faire pipi ».

Auparavant, quelques députés s’étaient alarmés de la circulaire du 12 décembre sur le contrôle du statut des personnes en hébergement d’urgence. Le 7 décembre, cinq députés macroniens sur les trente-quatre présents avaient aussi voté contre une proposition de loi des Constructifs, déposée avec l’assentiment du gouvernement, « permettant une bonne application du régime d’asile européen ». Sous cet intitulé ronflant, il s’agissait de rétablir la possibilité d’un placement en rétention des migrants déjà enregistrés dans un autre pays européen – ceux qu’on appelle les « dublinés » –, placement interdit par un jugement de la Cour de cassation en septembre, et même d’élargir les possibilités de mise en rétention. Ce texte, qui a encore été durci avec l’approbation de l’Intérieur, lors de son passage au Sénat le 25 janvier, reviendra bientôt en seconde lecture au Palais-Bourbon. Nul doute que le comportement des députés LREM qui critiquent la « ligne dure » du gouvernement sera scruté avec attention. À quelques semaines de l’examen du projet de loi asile et immigration.

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