Accueil des mineurs isolés étrangers : l’envers du décor

Agathe Nadimi, militante solidaire des MIE, raconte la visite de l’équipe du Défenseur des droits au Demie, Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers.

Agathe Nadimi  • 20 juin 2018
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Accueil des mineurs isolés étrangers : l’envers du décor
© photo : des mineurs isolés étrangers venus de la Jungle de Calais à leur arrivée dans un centre d'hébergement à Orléans, en novembre 2016. GUILLAUME SOUVANT / AFP

Depuis 2016, Agathe Nadimi consacre tout son temps libre pour aider les mineurs isolés étrangers, délaissés par le Demie, Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (MIE), situé à deux pas de Belleville, dans le XXe arrondissement de Paris. Géré par la Croix-Rouge dans la capitale, le Demie est le point de passage obligatoire pour tous les MIE pour avoir une chance d’être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Cette professeure en études supérieures (fac, écoles de commerce et de tourisme) ne vit pas dans le quartier mais y vient autant que possible pour apporter des vêtements, un téléphone, une paire de baskets, un sourire à ces adolescents démunis. Pour ne pas les laisser le ventre vide, Agathe a crée le collectif Les midis du MIE qui effectuent régulièrement des maraudes, des distributions alimentaires et matérielles au jardin Palikao. Elle raconte la visite de l’équipe du Défenseur des droits au Demie, et l’envers du décor.

« Mardi, quatre membres de l’équipe du Défenseur des droits ont passé la journée au Demie, à Paris. Cette visite était organisée par le personnel du Demie et ses services alliés, avec un programme ficelé pour que chacun des membres du personnel soit en place heure par heure et ne joue aucune fausse note.

Une visite un mardi, jour plus calme que le lundi qui concentre les arrivées du week-end quand les services sont fermés, ou que le mercredi où l’ouverture ne se fait qu’à partir de 11 heures obligeant ainsi à attendre dans la rue.

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Une visite digne de celle d’un appartement témoin ou d’une journée portes ouvertes pour recruter de nouveaux commerciaux où tout est fait pour donner envie de vendre les produits et devenir corporate. Pas une fausse note, a priori. La cheffe de service sait jouer de la baguette ! Des accompagnements individualisés vers les hôtels tout au long de la journée, des pommes offertes pour faire patienter et même des sourires…

Nous aurions pourtant imaginé qu’en cas de doutes réels et avérés sur les pratiques, une telle visite se fasse à l’improviste. Un jour de neige par exemple quand des gamins de 15 ans en hypothermie étaient remis un à un dehors, sans une nuit d’hôtel, sans une orientation vers un dispositif du plan grand froid pourtant si médiatisé. Nous, personnes solidaires responsables, avons dû alerter et coordonner pour que des mômes ne meurent pas de froid dans les rues de Paris.

N’importe quel jour aurait marché puisque tous les jours des gamins sont invités à revenir dans l’après-midi sans rien avoir à manger, sont refusés après quelques questions rapides ou au faciès, sont envoyés vers un hôtel qu’ils devront trouver pour le soir avec quelques indications en français quand ils ne parlent ni ne lisent un mot de français. Ou encore entendre pour seule orientation « va voir le juge au tribunal » sans prendre le temps d’expliquer les jours et heures des permanences, ni ce qu’est un recours.

Quand ils sont mis à l’hôtel, c’est sans un éducateur la journée, ils passent juste pointer le soir. Ils ont un bon repas dans un restaurant populaire à l’autre bout de Paris et un kebab le soir. Quand vient la nuit c’est au tour des souris et des punaises de lit de venir chercher à manger dans leurs chambres souvent insalubres. Nous nous sommes battus pour que tous puissent avoir à manger le midi dans les différents dispositifs de mise à l’abri. Cela n’a pas toujours été le cas. Un centre d’hébergement leur demandait de partir vers 8h30 et ne les accueillait à nouveau qu’à 18h, les laissant ainsi dans la rue avec toutes leurs affaires sans repas.

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Pendant cette période de prise en charge vite faite mal faite, certains jeunes disparaissent. Mais pour les responsables, toujours la même conclusion : « Ils ont fugué »… Personne ne s’inquiètera, ne les cherchera. Je me souviens de ce copain de chambre qui a appelé à l’aide une nuit pour son colocataire malade qui n’arrivait plus à respirer. Le patron de l’hôtel ne voulait pas appeler les secours. Un autre patron d’hôtel qui était ivre chaque soir et qui « faisait vraiment peur » et d’Hamid, 14 ans, qui s’est fait taper à coup de barre de fer par un « monsieur dans l’hôtel ».

Depuis le début de l’année, plus de 200 enfants ont été refusés sans même une nuit d’hôtel ni une réelle évaluation. J’ai leurs noms, prénoms, dates de naissances, dits “signalements” pris dans la rue à côté du dispositif d’évaluation, le même visité par l’équipe du Défenseur des droits. Si Jacques Toubon, le Défenseur des droits, ne se fie qu’à cette journée de mascarade, il ne pourra jamais les défendre.

Nous n’oublions pas les jeunes filles de 15 ans, laissées ou remises à la rue, été comme l’hiver même enceintes de six mois. Les exemples sont concrets, réels, leurs prénoms encrés dans mes carnets et dans mon cœur : Mamyss, Mariam, Aissatou, Ousseynatou…

Désormais, elles sont toutes protégées par la justice et reconnues mineures.

Le petit Mamadou a dormi deux nuits le long de la grille du Demie au mois de décembre. Le premier jour, on lui a dit : « Reviens demain ». Le lendemain, on lui a dit : « Reviens demain ». Et le jour suivant, on lui a dit : « Pars, t’es majeur ». Le sol était trempé comme ses yeux fiévreux. À l’évidence, la justice a été dérangée pour rien puisqu’il est bien mineur, mais elle a fait son travail. Aujourd’hui, il a une ordonnance de placement jusqu’à sa majorité.

D’autres juges appliquent le schéma du parcours légal : ils ne comprennent pas pourquoi on les saisit alors ils renvoient ces jeunes vers le Demie pour les évaluer. Ces mêmes jeunes, refusés quelques mois plus tôt à cause d’un jugement purement physique. Alassane est dans ce cas. Huit mois après son arrivée à Paris, il attend encore son retour d’évaluation par la Croix-Rouge… Ibrahima et de nombreux autres reviennent avec un mot du juge, destiné à ce service qui leur avait automatiquement dit de voir le juge.

Je me souviens de la fragilité d’Ibrahima, le jour où ils lui ont remis sa lettre de refus. Je l’avais trouvé prostré et en larmes dans la rue. Son extrême détresse l’a conduit à l’hôpital, où les médecins ont également vu cette fragilité. Il se serait sûrement suicidé sous la première voiture passant dans la rue si je ne l’avais pas guidé vers un service spécialisé. Il est reconnu mineur maintenant lui aussi et protégé comme il se doit par la justice.

De tels exemples, il y en a des centaines. C’est pour toutes ces raisons que des personnes solidaires, scandalisées, viennent en aide chaque jour à ces enfants, de l’autre côté de la grille.

Ce mardi, ces personnes solidaires n’ont pas pu parler au défenseur des droits, ont été éloignées avec agressivité. Pourtant, elles savent mieux que personne ce qui se passe depuis des mois, des années.

Ce même jour, je me suis encore retrouvée de l’autre côté de la grille avec cinq jeunes remis dehors après trois nuits d’hôtel, mais qui avaient dès le premier jour une orientation vers le tribunal, après une miniévaluation.

À force d’avoir dénoncé le simple refus au guichet, nous dénonçons le refus express avec dans le meilleur des cas, une ou quelques nuits d’hôtel en fonction du timing pour rédiger une lettre vite fait. Lettre qui ne correspond pas toujours à ce qu’ils ont dit : erreurs de date de naissance, d’histoire, de traduction… Sans parler des motifs irréels : « un mineur ne peut pas avoir travaillé », « vous avez fait preuve de maturité en décidant de quitter seul votre pays », « rien ne justifie votre isolement »…

Est ce pour satisfaire la justice qui trouvera un rendu d’évaluation ou se couvrir de pratiques ne respectant pas la loi et la « politique de la mairie de Paris » ? Peut-être les trois. Mais le résultat reste le même.

Ali, Saidouba, Yakouba, Amadou et Mohamed avaient peur de dormir dehors hier quand je les ai quittés. Terriblement peur. Je me suis tristement réjouie (on en est bien là) d’avoir pu leur offrir à manger le midi ne sachant pas quand ils pourraient manger à nouveau. Il n’y a jamais de distribution au Demie, nous, personnes solidaires, les faisons à côté depuis plus d’un an.

Monsieur le Défenseur des droits, il serait très utile d’entendre les témoignages des intéressés et des personnes concernées qui s’organisent sur le terrain, qui savent mieux que les institutions où se trouve la mascarade et qui œuvrent sans relâche contre le désastre causé par ces services. Il serait temps de les entendre, d’arrêter de se féliciter pour ce qui est fait et d’imaginer ce qui pourrait être fait pour respecter réellement la convention des droits de l’enfant. »

Publié dans
Tribunes

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