Le boycott académique institutionnel des universités israéliennes est moralement nécessaire

Philippe Stamenkovic, philosophe des sciences à l’université d’Uppsala estime nécessaire de rompre avec les universités israéliennes collaborant activement avec les institutions étatiques du pays. Ce qui n’empêche pas les collaborations individuelles avec les voix universitaires critiques de la société israélienne.

Philippe Stamenkovic  • 18 juillet 2024
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Le boycott académique institutionnel des universités israéliennes est moralement nécessaire
Manifestation appelant au boycott d'Israël à Sciences Po à Lyon, le 30 avril 2024.
© OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP

Face au génocide en cours à Gaza, Philippe Stamenkovic, philosophe des sciences à l’université d’Uppsala, estime qu’il est nécessaire de rompre les liens institutionnels avec les universités israéliennes, qui collaborent activement avec les institutions étatiques du pays. Ce qui n’empêche pas les collaborations individuelles avec certains universitaires qui sont les voix critiques de la société israélienne.


La question du boycott académique des universités israéliennes se pose âprement pour les universitaires du monde entier. Je suis d’autant plus sensible à cette question que j’ai moi-même effectué un postdoctorat en Israël, et que je m’y suis fait des amis parmi mes collègues. Il est tentant de croire, comme l’affirme Astrid von Busekist, qu’un tel boycott « serait une grave erreur » car il nous priverait des « meilleurs critiques du gouvernement Netanyahou ». Cependant, son analyse est incomplète et factuellement erronée.

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Le massacre actuellement perpétré par Israël à Gaza, qui a été reconnu comme génocide par la communauté scientifique, ainsi que la colonisation, le régime d’apartheid et le refus de reconnaître l’État de Palestine sont insupportables. La question est donc : comment mettre un terme à ces crimes ? Le milieu académique israélien est à la fois l’une des causes de, et l’une des solutions à cette situation insupportable. Il faut donc analyser son rôle de plus près, aussi bien en ce qui concerne ses contributions positives que négatives.

Les universités contribuent activement à la colonisation en Cisjordanie et à la guerre actuelle à Gaza

Commençons par la cause du problème. Les universités israéliennes sont loin d’être des acteurs académiques neutres, qui « ne font pas de politique », comme l’affirme le président de l’université Bar-Ilan. Au contraire, elles collaborent activement avec les institutions étatiques, et en particulier militaires, israéliennes. Sans même parler de leurs responsabilités historiques, ces universités contribuent activement à la colonisation en Cisjordanie et à la guerre actuelle à Gaza : en gros, les sciences humaines et sociales contribuent à justifier leur bien-fondé, tandis que les sciences naturelles et technologiques supportent l’industrie militaire et l’armée.

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Les universités israéliennes fournissent ainsi un support intellectuel (l’université de Tel-Aviv a par exemple développé la doctrine « Dahiya » en partenariat avec l’armée israélienne, qui recommande de frapper les infrastructures civiles avec une force « disproportionnée » et d’infliger le maximum de destructions), stratégique (l’université de Tel-Aviv héberge par exemple l’Institut des études de sécurité nationale, qui a défendu l’interdiction d’aide humanitaire à la population palestinienne après le 7 octobre 2023), technologique (l’Institut Weizmann des sciences et le Technion contribuent par exemple à l’industrie militaire israélienne à travers leurs collaborations avec Rafael et Israeli Aerospace Industries ; l’université hébraïque de Jérusalem héberge les programmes Talpiot et Havatzalot, fournissant un support technologique et d’espionnage à l’armée) et financier (l’université de Tel-Aviv a établi un programme de support financier aux étudiants participant à la réserve militaire).

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De nombreuses sources (y compris d’universitaires israéliens et/ou juifs) documentent ces faits (voir par exemple les travaux de Uri Yacobi Keller, Nick Riemer, Maya Wind ou Neve Gordon), mais il suffit de lire la presse israélienne anglophone, ou de regarder les fils X (ex-Twitter) des universités de Tel-Aviv ou de Jérusalem pour constater qu’elles clament fièrement leur support à la guerre à Gaza.

Les universités israéliennes hébergent aussi les rares voix critiques de la société israélienne

Mais les universités israéliennes représentent aussi une part de la solution. Elles hébergent souvent les rares voix critiques de la société israélienne (même si l’université de Jérusalem a congédié la professeure palestinienne Nadera Shalhoub-Kevorkian qui avait appelé à un cessez-le-feu, avant de la réintégrer). Néanmoins, il s’agit d’un effet positif dispersé, au niveau individuel de certains universitaires, par contraste avec la dimension institutionnelle du soutien à la guerre et à l’occupation. Les universités israéliennes représentent aussi des lieux de vivre ensemble entre étudiants juifs et arabes. Hélas, ces contributions positives ne semblent pas faire le poids par rapport aux contributions négatives, et n’ont aucune influence sur la guerre et la colonisation qui continuent implacablement.

Le discours qui consiste à dire que la science n’a pas de responsabilité sociale ne tient pas.

Les universités israéliennes semblent donc avoir un rôle globalement négatif, qui supporte les crimes commis par l’État d’Israël. Que faire, alors ? Le discours qui consiste à dire que la science n’a pas de responsabilité sociale, comme l’affirme le président de l’université Bar-Ilan, ne tient pas. Comme quiconque, les universitaires ont la responsabilité morale de ne pas causer de tort à autrui, y compris à travers leur travail et ses applications, ce qui inclut leurs collaborations. Le boycott académique des universités israéliennes est un moyen simple pour ce faire. La dimension véritablement institutionnelle de leur support à l’État d’Israël justifie que ce boycott soit également effectué au niveau institutionnel des programmes, départements, facultés, voire établissements.

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Il est important de préciser que ce boycott institutionnel respecte la liberté académique, car il ne présage en rien des collaborations individuelles, qui peuvent être maintenues si elles sont bénéfiques. Idéalement, chaque université devrait faire un audit de ses collaborations avec les universités israéliennes – comme cela a été fait pour nombre d’entre elles en ce qui concerne leurs collaborations avec les institutions russes – et mettre en suspens toutes celles qui risquent de contribuer aux crimes commis par Israël. Dans le doute, ou si les moyens manquent pour ce faire, il vaut mieux boycotter que ne pas boycotter, car les conséquences d’un boycott erroné semblent bien moindres qu’un boycott non effectué qui aurait dû l’être.

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Face au génocide en cours à Gaza, on ne peut faire comme si de rien n’était. Si les États ont l’obligation légale de prévenir les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, les institutions et les individus ont l’obligation morale de faire de même. Le boycott académique institutionnel est un moyen peu coûteux pour ce faire. Un tel boycott a par exemple été mis en œuvre par cinq universités norvégiennes, qui ont rompu leurs liens avec leurs homologues israéliennes – sans présager des collaborations individuelles, conformément à la liberté académique –, ainsi que, récemment, par la Conférence des recteurs et rectrices des universités espagnoles. Il a également été mis en œuvre pour lutter contre l’invasion de la Russie en Ukraine, et, il y a plus longtemps, contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Le double standard dans le cas d’Israël est flagrant, pour des raisons purement politiques.

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