Ne plus être des sourds-citoyens

Près de quatre millions de personnes sourdes ou malentendantes vivent en France. Ancien enseignant, Fernand Macanjo en fait partie. Il appelle à manifester « contre la sous-citoyenneté des sourds » à Paris, ce samedi.

Daryl Ramadier  • 16 juin 2018
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Ne plus être des sourds-citoyens
© Photo : AFP (Aubert/BSIP)

A ssujettis », « passifs », « sous-citoyens »… Pourquoi usez-vous d’un tel vocabulaire pour vous qualifier ?

Fernand Macanjo : La Constitution française n’est pas adaptée à nous. Les sourds n’ont pas accès à ce qu’ils devraient avoir en tant que citoyens, et ce depuis très longtemps. L’égalité n’est pas respectée, que ce soit dans le travail, dans l’éducation, dans les médias… Nous n’avons pas les mêmes chances que les autres. À chaque fois, ce sont de petites choses et les gens doivent se dire que nous ne sommes jamais contents. Mais il faut des solutions pour nous permettre d’être égaux, parce que nous sommes des citoyens à part entière, pas des malades.

Concrètement, par quoi cela se traduit-il ?

Prenons l’accessibilité aux médias. Sur BFMTV il y a quinze minutes de journal traduit de 13h à 13h15, sur France 2 c’est trois minutes dans Télématin… C’est très parcellaire. Nous n’avons l’information qu’une seule fois et seulement si nous sommes disponibles à ce moment-là. Lors des attentats il n’y avait aucun interprète, les flashs n’étaient pas sous-titrés. C’était la panique totale ! Les personnes sourdes voyaient qu’il se passait quelque chose de très grave sans rien y comprendre. Même dans les films, les sous-titres ne sont pas sur tous les programmes. Quand un débat politique est en direct, il y a un décalage entre ce qui est dit et ce qui est sous-titré, avec des pans entiers de discours qui sautent. Il faut une chaîne de télévision publique dédiée à la population sourde.

À qui adressez-vous cette demande ?

Une lettre où nous expliquons notre situation a été envoyée au Président le 25 mai. Nous attendons que lui ou son entourage puissent nous écouter et nous recevoir. Nous avons des demandes à lui soumettre, car il n’y a pas que des revendications mais aussi des propositions. Ce qui est sûr, et cela a été explicitement demandé, c’est que nous ne voulons pas un rendez-vous avec le ministère de la Santé.

Pourquoi ?

Parce que nous ne voulons plus être regardés comme des malades ! Pourquoi toujours nous assimiler au secteur médical ? Les instituts de jeunes sourds dépendent de l’Agence régionale de santé, or nous demandons une place dans l’Éducation nationale. L’idée est de dire : arrêtez de vous focaliser sur ce qui nous manque, regardez-nous comme des humains avec des compétences. La loi demande à ce que les enfants soient dépistés à J+2 ; c’est prendre les parents en otage alors qu’ils sont encore à la maternité. Si le dépistage est positif, on leur propose un implant cochléaire en disant que c’est la seule manière de sauver leur enfant. On est immédiatement dans la réparation. D’autres alternatives peuvent être proposées : apprendre la langue des signes, rencontrer des adultes sourds… Beaucoup vivent très bien sans implant.

Vous allez marcher, samedi après-midi, de la place de la République à celle du Châtelet. Avec qui ?

Toutes les personnes qui se sentent concernées, y compris dans la population entendante. Il faut être solidaire avec nous de la même manière que lorsqu’il s’agit de réclamer l’égalité entre les hommes et les femmes, les mêmes droits pour les homosexuels… Nous avons demandé aux sourds de ne pas venir en tant que représentants d’une association ou d’une fédération, mais comme membres de la société civile. Encore une fois, le fait d’être toujours rattaché au domaine médical freine l’acceptation et l’intégration des sourds en France. Dans le même temps, peu de personnes sont au courant de notre situation car la surdité est un handicap peu visible.

Entretien réalisé en collaboration avec Théo Nougaro, femme et interprète de Fernand Macanjo.

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