Bombes chimiques à retardement

Insecticides, herbicides, fongicides… la gamme des molécules qui inondent l’agriculture s’étend d’année en année.

Vanina Delmas  • 11 septembre 2018 abonné·es
Bombes chimiques à retardement
© photo : Philippe HUGUEN / AFP

Avant de gagner la guerre, il faut bien connaître son ennemi. Concernant les pesticides de synthèse, il faut parler au pluriel car ils regroupent aussi bien les insecticides que les herbicides et les fongicides (contre les champignons), mais aussi des catégories moins connues comme les corvicides (contre les corbeaux) et les rodonticides (contre les rongeurs)… Souvent englobés sous le nom faussement rassurant de « produits phytosanitaires », leur dangerosité pour l’homme, la faune, la flore se révèle au fil des années, et des scandales. Le chlordécone par exemple, cet insecticide qui fut utilisé massivement dans les bananeraies, empoisonnera le sol des Antilles pendant encore 600 à 700 ans !

Éliminer les « indésirables » et « protéger » les cultures. Telles étaient les missions attribuées aux pesticides après 1945, notamment dans les champs afin d’assurer les récoltes. Ils sont devenus des piliers de l’agriculture intensive. Une vision sur le court terme désormais égratignée par l’éclosion des scandales sanitaires, la disparition de la biodiversité et l’appauvrissement des sols.

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Malgré les multiples plans de réduction de l’utilisation des pesticides depuis le Grenelle de l’environnement (lire ici), la France reste encore très dépendante aux pesticides. Selon les données d’Eurostat, 66 000 tonnes de pesticides ont été consommées en 2016, soit environ 10 000 de plus qu’en 2011. Autre statistique plus parlante : 1,1 kg de pesticides par hectare de surface agricole utile, classant l’Hexagone au 9e rang européen.

Le débat houleux autour du glyphosate, la substance active du célèbre Roundup vendu par Monsanto, a permis de mettre la lumière sur ces problématiques tout en monopolisant un peu l’attention. Mais d’autres substances se sont révélées fatales, comme les néonicotinoïdes pour les abeilles. Leur particularité : ils sont utilisés en prévention car ils enrobent directement la semence, et se propagent donc dans toute la plante. Le système nerveux central des abeilles est touché dès qu’elles jouent leur rôle d’insecte pollinisateur, et cela, sur plusieurs générations car ces molécules restent des années dans le sol ou l’eau. L’une des trois substances actives interdites depuis le 1er septembre est l’imidaclopride, composant le Gaucho. La lutte des apiculteurs contre ce pesticide fabriqué par Bayer a connu de nombreux soubresauts : sa mise sur le marché a été interdite en 2004 mais seulement pour l’usage « traitement des semences de maïs ». Même processus pour le Cruiser, l’Actara, le Poncho…

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Une politique des petits pas qui persiste aujourd’hui, et qui est même contournée par d’autres substances actives, notamment le sulfoxaflor et le flupyradifurone. Si les industriels nient la toxicité de ces néonicotinoïdes dits « nouvelle génération », une étude publiée le 16 août dans la revue Nature montre leurs impacts significatifs sur la croissance et la reproduction du bourdon terrestre, l’un des plus importants en Europe. Pire, ils ne joueraient pas le rôle de répulsif, mais les attireraient. Du côté des fongicides, des scientifiques ont récemment alerté sur la nocivité des SDHI (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase). Abondamment utilisés dans les champs et les pelouses pour éliminer toute trace de champignons et de moisissures, ils sont arrivés sur le marché en 2009, en substitut de pesticides interdits.

Les fronts de bataille se multiplient ainsi que les études scientifiques attestant des conséquences sur la santé humaine de l’exposition régulière à ces produits. Même à faible dose. En 2013, un rapport de l’Inserm confirmait « des associations positives entre l’exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies, comme la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et des cancers hématopoïétiques ». Cet été, l’Agence de sécurité alimentaire européenne (Efsa) a tenté de rassurer les consommateurs en montrant que plus de 96 % des échantillons d’aliments étudiés se situent dans les limites légales des résidus de pesticides. Mais Générations futures a affiné l’expertise en analysant ces résidus dans le détail. Résultats : 6 résidus de pesticides sur 10 quantifiés dans l’alimentation européenne sont des perturbateurs endocriniens suspectés. L’association souligne au passage l’absurdité des limites maximales de résidus (LMR), qui négligent l’effet cocktail de ces substances toxiques, pourtant dévastateur.

Écologie
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