Cédric Herrou en tournée solidaire

L’agriculteur a présenté Libre en avant-première à Saint-Étienne, terre d’accueil de longue date.

Vanina Delmas  • 26 septembre 2018 abonné·es
Cédric Herrou en tournée solidaire
© photo : Cédric Herrou crève l’écran, avec son humanité et son humour.crédit : LAURENT CARRE/Jour 2 Fete

Deux voitures de police attendent devant le cinéma Le Méliès Saint-François. Les badauds s’interrogent. Les cinéphiles du jour savent pourquoi les forces de l’ordre veillent : ce mardi soir, Cédric Herrou est à Saint-Étienne pour présenter le film Libre, qui montre son combat pour aider les migrants dans la vallée de la Roya. Quelques jours auparavant, l’agriculteur a été légèrement enfariné à Valence par quelques anti-migrants. « Ce n’était pas grand-chose. Ce n’est pas donné à tout le monde de réussir une action de désobéissance civile, on peut leur apprendre », glisse Cédric Herrou, taquin, avant d’aller saluer les 350 spectateurs du soir.

Le cinéma fait salle comble, comme ce fut le cas à Rennes, Tours, Bourg-en-Bresse, Nantes… sauf dans les Alpes-Maritimes, où seule une salle d’Antibes a projeté le film. « C’est quand même une preuve qu’on n’est pas si minoritaires que ça en France », glisse un spectateur. Ce « on », ce sont les milliers de citoyens solidaires des migrants dans l’Hexagone.

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Fin de séance. Standing-ovation. Les participants ont été tantôt émus aux larmes, tantôt révoltés, indignés, mais aussi admiratifs. Cédric Herrou incarne définitivement l’antihéros, qui leur ressemble un peu mais pas tout à fait. Tous ont suivi ses déboires avec la justice depuis son arrestation à la gare de Cannes en 2017 (1). Depuis cet été, son contrôle judiciaire est allégé : il peut notamment retourner en Italie, mais seulement pour des raisons professionnelles. « J’aime bien les procès, rigole-t-il. Je n’en ai pas peur. Mais je ne supporte pas que l’État se serve de cette lutte pour instaurer un clivage : une justice pour le citoyen qui ne réfléchit pas trop, et une autre pour le citoyen militant. Cette lutte n’est pas que pour les migrants, c’est aussi pour nos propres droits. »

Le film montre que ces solidaires de l’ombre, parfois considérés comme des délinquants, ne sont pas seuls à penser de la sorte et à agir. Cédric Herrou non plus n’est pas isolé. D’ailleurs, s’il peut assurer tant de déplacements, c’est parce que son père et son frère assurent la récolte des olives, tandis que les douze migrants qui résident actuellement chez lui gèrent les éventuelles arrivées de réfugiés, avec l’aide d’une bénévole.

Avec humour et décontraction, l’agriculteur de la Roya écoute les remarques et répond naturellement aux questions. « Aujourd’hui, nous faisons de l’aide à la régularisation directement dans ma ferme ! Ce qui dérange le préfet, donc l’État, c’est qu’on dénonce les conséquences de la fermeture des frontières, les contrôles policiers permanents et le non-respect des droits humains », analyse-t-il. Une jeune femme lui demande comment faire bouger les gens, autres que les convaincus. « Je n’ai pas de solution miracle. Le plus important, selon moi, est la prise de conscience par l’opinion publique. Mais je comprends aussi la peur de certains Français de s’engager. »

Cédric Herrou raconte que lui-même a mis un an et demi à faire le premier geste envers ces jeunes gens qui, en 2015, ont manifesté à leur façon en dormant sur les rochers du front de mer, à la frontière franco-italienne. « C’était troublant de voir en face de soi ce qu’on observe habituellement à la télévision : des gens qui représentent la guerre, la dictature, la Libye, l’exil… »

Derrière ses emblématiques lunettes rondes, Cédric Herrou ne surjoue pas la modestie. Ces avant-premières lui permettent aussi de voir les combats locaux pour aider les demandeurs d’asile. « Le vrai accompagnement des migrants se fait dans vos villes ! Dans la Roya, notre rôle est surtout de les protéger, de leur accorder un temps de répit, de leur souhaiter la bienvenue le mieux possible, mais nous ne faisons pas forcément de suivi psychologique et administratif, car beaucoup ne sont que de passage. »

Mobilisation inébranlable

« Merci pour cette claque de fraternité », s’exclame une spectatrice, visiblement très émue. Pourtant, les Stéphanois et leurs voisins n’ont pas de quoi rougir. Le collectif Pour que personne ne dorme à la rue compte plus de 25 associations de terrain et autant de soutiens d’organisations nationales (Cimade, RESF, Comède…). La tradition de l’accueil à Saint-Étienne n’est pas nouvelle et a souvent été liée à la migration de travail, notamment entre 1914 et 1945. Les diverses industries (mines, sidérurgie, mécanique ou encore textile) ont fait du bassin stéphanois un bastion primordial de l’effort de guerre. Une main-d’œuvre étrangère venue d’Italie, d’Espagne, de Grèce, du Maghreb, de Pologne, puis du Portugal et de Turquie dans les années 1970, et de Bosnie après l’éclatement de la Yougoslavie dans les années 1990.

« Les demandeurs d’asile arrivent d’abord dans les grands centres urbains, comme Lyon. Certains pensent avoir plus de chances dans une ville plus petite, donc ils viennent à Saint-Étienne, explique Pierre Rachet, président de Solidarité Roms. Quand une famille ou un groupe sont installés, les informations circulent dans le pays d’origine : les Roms vivant à Saint-Étienne viennent tous de deux ou trois villages. » Tout comme la position GPS de la ferme de Cédric Herrou et son numéro de téléphone ont rapidement traversé la Méditerranée.

Les dizaines de collectifs du département de la Loire se sont formés et consolidés au fil des années et des familles à défendre. En 2009, naît le collectif citoyen d’associations Pour que personne ne dorme à la rue. Quatre ans plus tard, leur combat s’intensifie : la préfète Fabienne Buccio – ensuite nommée dans le Pas-de-Calais – a refusé d’héberger tous les déboutés du droit d’asile. Depuis, trois préfets se sont succédé, la décision est restée la même, et la mobilisation citoyenne n’a pas faibli. « Notre réseau citoyen héberge aujourd’hui 150 familles, c’est une fierté ! Mais nous savons qu’il y en a toujours autant qui se débrouillent et vivent dans les parcs ou les squats. Nous sommes sollicités deux ou trois fois par semaine pour abriter des familles, souvent déboutées du droit d’asile. Les dysfonctionnements à la préfecture perdurent, le droit à l’hébergement n’est pas respecté », alerte Jean-François Peyrard, coordinateur du collectif. Plus de 1 200 dossiers seraient en attente au bureau des étrangers, et la réponse n’arrive pas avant trois ou quatre ans au lieu de six mois. « Pour ce qui est de la délivrance des titres de séjour et l’hébergement des familles, ces missions s’exercent dans le strict respect des lois », déclare la préfecture. Certains se résignent à essayer dans les départements voisins : « Un jeune qui avait une promesse d’embauche est parti dans les Deux-Sèvres et a obtenu ses papiers au bout de quinze jours », confie une bénévole de l’association La Passerelle. Quant à la situation des mineurs isolés, elle est aussi dramatique que dans d’autres départements : des évaluations de minorité aléatoires, pas de scolarisation, des enfants laissés seuls dans des hôtels… Comme ces deux ados suivis par Jean-François Peyrard à Firminy. « Ils ont un toit, c’est vrai, mais ils sont seuls et ont besoin de nous pour les repas et les kits d’hygiène. »

En ce moment, la mobilisation citoyenne grandit autour de la famille Galstyan, arrivée d’Arménie il y a huit ans. En 2013, ils sont déboutés du droit d’asile. Ils attendent donc leurs cinq ans de présence sur le territoire français pour demander leur régularisation. Carte de séjour refusée. Les raisons invoquées : manque d’insertion particulière dans la société française et absence de contrat de travail ou de promesse d’embauche… alors qu’il leur est interdit de travailler. « Dans cette même lettre évoquant la situation d’Ashot, le père, la préfecture reconnaît qu’il a présenté une promesse d’embauche mais qu’il n’y a pas eu de réponse car elle n’était que de deux mois au lieu de six ! », s’indigne Thierry Honvault, président de l’association Un toit pas sans toi, qui les héberge depuis cinq ans grâce à des parrains. Ces derniers donnent entre 60 et 120 euros par an afin de financer le loyer, l’eau et l’électricité de la famille.

La mère, Naïra, enceinte de huit mois, ne comprend pas pourquoi la France ne veut pas de sa famille alors qu’ils ont tout fait pour s’intégrer. « Le français est difficile à apprendre, mais nous prenons des cours », glisse-t-elle avant d’épeler fièrement les prénoms de son mari et de ses deux enfants. Thierry Honvault prend le relais pour raconter que Hovanns, l’aîné de 17 ans, vient de décrocher un stage de production graphique, et les professeurs d’Araksya, 12 ans, ne tarissent pas d’éloges sur cette bonne élève. « Si ce ne sont pas des preuves d’intégration, je ne sais pas ce que c’est ! » conclut-il.

Un recours gracieux auprès du préfet a été déposé, agrémenté de 19 témoignages démontrant que les Galstyan font partie intégrante du village de Saint-Jean-Bonnefonds, et d’une pétition signée par plus de 750 personnes. « Malgré toutes les bonnes volontés citoyennes, il ne doit pas y avoir que la solidarité. L’État doit encore et toujours prendre ses responsabilités », insistent-ils d’une même voix, de Saint-Étienne à la vallée de la Roya.

(1) Il a été condamné en août 2017 par la cour d’appel des Bouches-du-Rhône à quatre mois de prison avec sursis pour « aide à la circulation et au séjour d’étrangers ».

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Société
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