La charge anti-Mélenchon de Thomas Guénolé

Malgré le poids du ressentiment, le politologue pose quelques bonnes questions.

Denis Sieffert  • 20 novembre 2019 abonné·es
La charge anti-Mélenchon de Thomas Guénolé
© Durant la campagne des européennes, avant la rupture.Martin Bertrand/AFP

Sans ouvrir le livre de Thomas Guénolé, ceux qu’il appelle les « jusqu’au-boutistes » du mélenchonisme n’auront aucune peine à qualifier de règlement de comptes la charge du politologue. Les circonstances de la parution, quelques mois après sa mise à l’écart, et l’amertume de l’auteur cible d’accusations sans preuves de harcèlement sexuel conforteront ceux qui préfèrent ne pas voir. Ils auront tort. Le ressentiment n’invalide pas un questionnement fondé sur des faits difficilement contestables. Guénolé attaque sur trois fronts : le manque de démocratie interne à La France insoumise et, conséquemment, les défections en cascade enregistrées depuis la présidentielle de 2017 ; les ennuis judiciaires à partir du soupçon de surfacturation des frais de campagne ; et l’échec rapide du Média.

Le premier chapitre retiendra l’attention de ceux qui jugent nécessaire une force comme LFI, et qui ont trouvé là une effervescence intellectuelle et la justesse d’un combat social. La délégitimation systématique et le procès en opportunisme intenté contre tous ceux qui critiquent ce que Guénolé appelle « une machine autoritaire », ainsi que l’impossibilité de débats dénoncée par des figures aussi intègres et respectées que Charlotte Girard et Corinne Morel Darleux, rappellent trop les procédés hérités du PCF d’antan pour que la répétition n’appelle pas une réflexion approfondie. Et tant pis si Guénolé lui-même a souvent été du côté des procureurs. Le deuxième chapitre concerne des faits en cours d’instruction. À supposer même que la preuve des accusations soit apportée – aujourd’hui, elle ne l’est pas –, Mélenchon et la communicante Sophia Chikirou auront beau jeu de dénoncer le « deux poids deux mesures » dont leur mouvement est victime, quand LREM mériterait les mêmes investigations et le même soupçon. Quant au Média, il a démontré ce qui n’était plus à démontrer, à savoir qu’on ne peut faire du journalisme quand l’impératif est de justifier les prises de position d’un parti politique. L’épisode d’un « journaliste » décrétant qu’il ne faut plus parler de la Syrie « parce qu’on ne sait rien », alors qu’on savait tout du gazage des civils et des massacres de masse commis par le régime, a immédiatement montré les limites de l’entreprise et provoqué le départ de ceux qui croyaient trouver là les conditions d’un journalisme indépendant.

Mais, finalement, la partie la plus passionnante du livre de Guénolé se présente comme une sorte d’appendice, lorsque l’auteur redevient politologue. Pour lui, « la tragédie de Mélenchon » naît de l’erreur stratégique qui a empêché de transformer « le vote utile de gauche conjoncturel » de 2017 en « vote utile de gauche structurel ». Là est le problème, bien plus que l’intempestif « la République, c’est moi » au matin d’une perquisition tout aussi intempestive. Parce que ce débat est loin d’être clos, et que l’avenir de LFI est un enjeu pour toute la gauche, le livre de Guénolé mérite lecture.

La Chute de la maison Mélenchon Thomas Guénolé, Albin Michel, 256 pages, 19 euros.

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