La droite de Matzneff

C’est paresse intellectuelle que d’expliquer l’indulgence dont a bénéficié le dandy pervers par « le triomphe du gauchisme culturel ».

Michel Soudais  • 7 janvier 2020
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La droite de Matzneff
© Photo : Ulf Andersen / Aurimages / AFP

Gabriel Matzneff est enfin rattrapé par son passé. Et de Valeurs actuelles_ à Marianne,_ c’est la « gauche morale et intellectuelle » et l’esprit de Mai 68 qui se retrouvent accusés de complaisance face à la pédophilie. Que ce dandy pervers ait bénéficié de complicités et de protections dans l’édition et l’intelligentsia germanopratine n’est pas contestable. Mais c’est paresse intellectuelle d’expliquer cette indulgence par « le triomphe du gauchisme culturel » dans les années 1970 et les effets d’« une révolution sexuelle prétendant abolir tout ordre moral » comme l’assène Eugénie Bastié (Le Figaro, 31 décembre). Car Matzneff, s’il y comptait quelques amis, n’était pas de ces « fervents progressistes » que fustigent d’amnésiques procureurs.

La revue Éléments, organe de la « Nouvelle Droite » qui l’encense depuis ses premiers numéros, le classait en février 1999 parmi les figures de cette « droite hussarde » qui a pour « adversaire principal le militantisme [et] le puritanisme ». En mars 1976, un certain Michel Marmin, chroniquant élogieusement le journal de Matzneff des années 1953-1963, y estimait que sa _« pédophilie » procédait d’« un hédonisme souvent réjouissant » nourri par un « paganisme méditerranéen ». « L’Archange Gabriel », titre d’un long article d’Alain de Benoist (Éléments,_ automne 1986), n’avait pas attendu Mai 68 pour assouvir ses pulsions pour Les moins de seize ans. Que cet ouvrage publié en 1974 ait fait « scandale » scandalise de Benoist, qui tonne contre « les ligues de vertu, les esprits pincés, les fesses serrées » et les « imbéciles », avant d’écrire : « Je ne doute pas que les jeunes personnes qui fréquentent Gabriel Matzneff apprendront à son contact plus de choses belles et élevées que dans la vulgarité et la niaiserie que secrète à foison leur vie familiale et scolaire. »

« Les gens qui n’aiment pas Matzneff me sont immédiatement antipathiques », déclarait-il encore en 2012, en évoquant sa relation avec cet _« ami d’un demi-siècle » dont il a « fait la connaissance à la fin de l’année 1962, sans doute par l’intermédiaire de François d’Orcival », aujourd’hui pilier de Valeurs actuelles et éditorialiste au Figaro-magazine. En février 1991, alors qu’il avait invité son « ami » à exposer sa morale dans sa revue Krisis, ce dernier y jugeait la « morale “permissive” » de l’Occident « répugnante » : « La luxure n’est élégante, elle ne demeure pudique, que tant qu’elle est le privilège d’un petit nombre d’êtres sensibles, raffinés. Dès qu’elle se démocratise, elle devient immonde. » Un élitisme aristocratique méprisable, bien loin de l’esprit de Mai 68.

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